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Mes vacances au château

Qu’on ait habité aux Carrières ou à Euville dans les années 1960 et 1970, on ne peut avoir oublié Madame Raymonde BEAU, qui descendait pratiquement tous les jours au cimetière d’Euville, quel que soit le temps, un bouquet à la main, par le chemin de Fline ? Elle allait visiter Roger, son plus jeune fils, tué en Algérie en 1959. Avec Victor, son tailleur de pierre de mari, elle demeurait au « château Â», au-dessus de la carrière de la Sablière, territoire de Vignot.

Sa petite fille Nicole Reger-Beau m’a contacté après avoir voyagé dans ce site sur Euville et, à la suite de plusieurs échanges, elle a bien voulu, pour vous, conter ses souvenirs de vacances au château.

Que d’émotions passent dans ce témoignage magnifique !

Oui, c’est cela les Carrières : personne de ceux qui y ont vécu n’y reste indifférent, une âme et un état d’esprit  animent toujours leurs souvenirs. On est des Carrières, un point c’est tout !!!

Aînée de 9 enfants, Raymonde est née Thomassin, à Commercy, d’un père originaire de Sauvoy dont la profession est tailleur de pierre. Son mari et ses fils sont également tailleurs de pierre. Son aîné, Gérard (le père de Nicole), travaillera plusieurs années à la restauration du château de Chambord, puis à Luxembourg, où il se mariera.

Voici le témoignage de Nicole :

Les Carrières d’Euville, refuge de mon enfance

 

« Balades en forêt, cueillette de muguet et de jaunottes, portion de bois à ramener au château, feu de bois, escalade des cavaliers, déjeuners sous le hêtre rouge et le saule pleureur, baraque de bambou, oiseaux qui chantent à tue-tête,

Mais également peur des vipères et des orages qui se donnaient rendez-vous autour du château, beaucoup de kilomètres à pied pour aller chercher l’eau au puits à la hauteur de la famille De March, aussi pour les courses auprès du boulanger et du boucher, à la hauteur de l’Argentine,

… que de souvenirs.

Pour la petite citadine Luxembourgeoise que j’étais, les week-end et vacances passées près de mes grands-parents au château étaient fantastiques et faisaient partie d’un autre monde.

Ces séjours ont imprégné mon enfance ainsi que ma vie d’adulte.

Le château était mon refuge, j’aimais y aller, partager de bons moments avec ma grand-mère que j’adorais, qui était ma confidente, mon amie.

Que dire du château, lieu extraordinaire entouré de forêt, avec des chauves-souris  au grenier, des animaux domestiques dans la remise, beaucoup de pièces à conquérir pour une petite fille, le jardin potager énorme qui occupait mes grands-parents pendant une grande partie de la journée, les chants de ma grand-mère accompagnés à l’harmonica par mon grand-père.

La cuisine était la pièce centrale, où tout le monde se rassemblait et où l’on faisait tout. C’était la seule pièce chauffée continuellement, on s’y lavait, on discutait, mangeait, jouait, se disputait …

Dès le printemps la vie se passait dehors, mon grand-père accroupi sur les escaliers de la porte d’entrée, à jouer de l’harmonica ou à écouter les « Grosses têtes Â» et le Tour de France, les chaises longues installées dans la prairie, la table mise sous le hêtre rouge et le saule pleureur, la plus belle salle de séjour du monde.

Le hêtre rouge me paraissait énorme, il avait déjà un certain âge à l’époque, j’aimais l’entourer de mes bras et lui demander de me donner de sa force, pour moi il reste l’arbre le plus beau que je connaisse.

Je me rappelle de la sirène des Carrières qui annonçait la rentrée de mon grand-père, les coups de dynamite qui me faisaient très peur.

Il me reste le souvenir de la diversité des fleurs que nous cueillions dans la forêt, dont ma grand-mère m’expliquait le nom, les bienfaits, et dont nous faisions des beaux bouquets pour les ramener au cimetière d’Euville, le tout bien sûr à pied.

J’étais impressionnée par la façon de transporter l’eau potable, un bout de bois porté sur les épaules avec un seau d’eau à chaque extrémité, et ceci en montant jusqu‘à la petite maison à mi-chemin entre le hameau et le château.

La saison des jaunottes était très excitante pour moi, ma grand-mère faisait en sorte que je les trouve, quelle joie, d’être responsable du dîner du soir.

Fin des années 70, les problèmes commençaient, il devenait de plus en plus difficile et dangereux pour mes grands-parents, ayant un certain âge, de rester seuls au château. Les gendarmes y faisaient des rondes, et insistaient pour que le téléphone soit installé, un berger allemand était gardé dans la maison. Je me souviens de ma grand-mère qui barricadait la porte d’entrée le soir, et je me réveillais en entendant le moindre bruit, la peur s’installait peu à peu.

C’est le facteur de l’époque qui ramenait le pain, l’eau potable, les médicaments. C’était lui qui assurait le lien entre la civilisation et le château, c’est grâce à lui qui voyait mes grands-parents tous les jours, que nous étions rassurés que tout allait bien : quel homme extraordinaire.

En 1980, ma grand-mère a eu un malaise, mon grand-père ne savait pas se servir du téléphone et est parti chercher du secours au hameau. Le temps qu’il y arrive et que l’ambulance arrive, ma grand-mère est décédée. Mon grand-père a déménagé au Luxembourg et y est décédé 8 ans plus tard, et le château est resté sans vie pendant de longues années.

Moi je reste avec mes beaux souvenirs d’enfance, je retourne régulièrement aux Carrières en famille, et plane dans les souvenirs. Â»

 

Nicole Reger-Beau   

 Luxembourg, le 5 mars 2016

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