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Histoire d'Euville par Michel Bastien

Le premier historien connu d'Euville est Charles Emmanuel Dumont, qui a écrit en 1853 une "Histoire des fiefs et principaux villages de la seigneurie de Commercy". Juge à Saint Mihiel, il a pu consulter les actes de son oncle, notaire à Commercy, et bénéficier aussi d'une large transmission orale d'événements antérieurs. Cependant, il ne connaissait pas particulièrement Euville et il s'ensuit des imprécisions et lacunes, bien que l’ensemble de la publication soit unique et extrêmement intéressant.

 

Vient ensuite la "Notice Historique sur Euville et ses Seigneurs" par M. Bonnabelle, parue en 1874 dans le tome IV des Mémoires de la Société des Lettres, sciences et arts de Bar le Duc. Il reprend souvent Dumont mais dit aussi largement s'appuyer sur des délibérations communales. En lisant plus attentivement Bonnabelle, on peut penser que son projet était d'écrire sur les Seigneurs d'Euville mais, qu'ayant eu en mains les notes de l'abbé Grandpierre, non encore publiées, il les ait utilisées pour son propre compte. En effet, bon nombre d'informations sont communes à Bonnabelle et Grandpierre et c'est très probablement ce dernier qui en est à l'origine.

 

L'historien suivant est Bernard Grandpierre (1811-1883). Mathématicien reconnu, membre de la Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar le Duc, chanoine honoraire de Verdun, il fut curé d'Euville de 1839 à 1883. Il a laissé en nombre des feuilles éparses sur Euville. C'est son frère qui rassemblera ces notes et les complètera après avoir consulté les archives communales et plusieurs archives familiales privées. La synthèse en sera publiée sous le titre "Le vieil Euville", peut-être dans les années 1890. Au moins, tout ce qui est relaté est sûr.

 

Vient enfin le travail de Léon Florentin, qui parait probablement au début des années 1920, dans les colonnes du Républicain de l'Est, en 9 feuillets. Nombre de vieilles familles euvilloises disposent d’un tiré à part de la publication, comportant les 9 pages avec chacune 6 colonnes, le tout dans le format 23-42 cm. Florentin dédie cet ouvrage à son "excellent ami" Léon Thomassin, d'Euville, et utilise encore le pseudonyme de Michel BASTIEN.

L'auteur situant grand nombre d'évènements par rapport à la date de rédaction de l'ouvrage, il est essentiel de connaître cette date pour une bonne compréhension des textes. Je situe la rédaction de ces pages en 1908 et 1909, quand l'auteur exerce et habite à l'école des Carrières.

 

Léon Florentin est né à Euville en 1875, il décède à Bar le Duc en 1937. Sa famille maternelle, les Martin, est une très vieille famille paysanne d'Euville. Sa famille paternelle est issue de nombreuses générations de vignerons de Tillot, sous les Côtes de Meuse. Léon Florentin est d'abord instituteur à Vignot, où il se marie en 1899 avec Lucie Devôge. Tous deux sont nommés aux Carrières d'Euville sur un poste double en 1902.

Arrive sa mobilisation dans l'Armée Territoriale en 1914. Le 21 février 1916 son régiment se trouve à Consenvoye au moment du déclenchement de la bataille de Verdun. Pris sous un déluge d'obus, il est atteint dès le second jour de l'attaque par un éclat. Prisonnier des Allemands et aussitôt amputé, il passe par les hôpitaux de Germersheim sur le Rhin, Interlaken et Lyon. Après une année complète d'opérations et de soins, il rentre enfin en Meuse, amputé de la cuisse droite et d'une partie du pied gauche, mais non encore appareillé.

Il reprend son poste d'instituteur mais le métier est devenu impossible avec de tels handicaps physiques. Léon Florentin s'occupe alors de l'Office Départemental des Pupilles de la Nation. En 1921 il se tourne vers le journalisme en prenant la direction du Réveil de la Meuse et du Républicain de l'Est. Il est l'auteur de plusieurs publications dont la plus connue reste "La Mélanie de Commercy".

Titulaire de la Médaille Militaire, de la Croix de Guerre et Commandeur de la Légion d'Honneur, Officier de l'Instruction Publique, Léon Florentin est un grand patriote et un républicain convaincu, la prise en compte du social et de l'humain lui est une seconde nature.

 

L'ouvrage est dédié à Léon Thomassin, né à Pagny sur Meuse le 6 juillet 1854, décédé à Euville. Il habitait au 15 de la rue Jeanne d'Arc, était entrepreneur de travaux publics, avait exploité un four à chaux en forêt de Menton, sa mère était Mélanie Rose Mathelin, son épouse était Marguerite Mollet (1857 Pagny sur Meuse – 1941 Euville).

 

Le texte qui suit est une reproduction in extenso que j'ai réalisée en 2008.

A notre excellent ami Léon Thomassin.

Situation

 Euville est situé au Sud-Est de Commercy dont il est dis­tant de moins de trois kilomètres. Bâti sur un léger contrefort de l'Argonne orientale, qui s'avance sur la prairie, il domine de quelques mètres la belle val­lée de la Meuse déjà large à cet endroit.

Le canal de l'Est branche Nord et la ligne de Paris-Avricourt passent à peu de distance du village; mais il n'y a pas de gare et le port d'embarque­ment de MM. Civet-Pommier seul est situé sur le territoire d'Euville.

Les chemins de Grande Communica­tion n° 8 de Commercy à Toul et 36 de Commercy à Vaucouleurs passent, le premier en dehors de l'agglomération, et le second d'un bout à l'autre du vil­lage, formant la rue principale.

Historique

L'origine d'Euville parait assez ancienne. Le cartulaire de l'abbaye de Rangéval le mentionne sous les noms de Euvilla ou Octovilla dans une charte datée de 1119.

A cette époque, il dépendait de la seigneurie d'Apremont dont Herbin ou Hébert fit construire l’église  en 1159.

Les moines de Rangéval assurèrent le service religieux dans cette paroisse jusqu'à la Révolution. Ils y levaient la dîme.

Vers le milieu du XVe siècle la famille d’Apremont n’était plus la seule maîtresse de la terre d'Euville. Les damoiseaux de Commercy, après n'avoir possédé que quelques biens de roture, devinrent bientôt propriétaires de la bonne moitié de ce fief.

En 1477, une première transaction survint entre la mère de Robert de Sarrebrück, seigneur de Commercy, et le sire d’Apremont. La première possédait plusieurs conduits (ménages) d’hommes et de femmes et la place d'une basse maison hors d’Euville entre les terres et les pâquis. Tout laisse à supposer que les débris de ce fief forment aujourd'hui la contrée appelée Château-bas et dans laquelle des historiens locaux ont cru reconnaître les traces d'anciennes forti­fications aujourd'hui disparues.

Les mêmes damoiseaux de Commercy possédaient une autre maison emi la ville près de I'église, le four banal, le moulin de Presle (malterie), la place d'un autre moulin où était un foulant ; un gagnage d’environ 72 jours de terre et 28 fauchées de prés. Ils jouissaient aussi du privilège de haute, moyenne et basse justice. En conséquence, Robert de Sarrebrück fit relever le gibet et le plaça au-dessus de Tombois, en la même forme qu'il avait autrefois été placé à la Frossard.

En 1500, les officiers du seigneur de Commercy voulant avoir la suprématie sur ceux du seigneur d'Apremont, tâchèrent d'usurper le cri de la fête, pro­clamation faite au nom de celui qui avait le droit de commander.

Voici en quoi consistait cette procla­mation :

« Le jour de la fête avant la messe, le sergent du seigneur se portait devant l'église, battait plusieurs roulements de tambour et criait "De par Dieu, de par St Pierre et St Paul et de par Mon seigneur X…, Seigneur Haut justicier d'Euville, il est fait commandement à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles soient, de se comporter modestement en la fête de ce village et de ce jour sans y entreprendre ou mouvoir querelles, noises ou débats, avec défense et inhibition très expresse de porter armes ou à en mesurer à peine d'amende arbitraire. »

Puis le sergent faisait un nouveau roulement et ajoutait : « De la part du dit Seigneur, il est permis aux jeunes filles et gens de la fête de la solenniser par danses et récréations honnêtes et aux joueurs d’instruments de servir à la célébration de la dite fête et à la réjouis­sance des danses. »

Cette fois, la comtesse de Linange à qui appartenait ce cri s'y opposa ; de là une transaction avec le damoiseau de Commercy par laquelle « le cri de la feste se fera doresnavant par le doyen du dit Euville au nom de mon dit sei­gneur sans y mettre aucun titre » 1

Les successeurs de Robert, Amé III, son fils, et Philippe, sa fille, baronne et comtesse de Louvois, entrèrent plus d'une fois en conflit encore avec les sei­gneurs d'Apremont.

A la fin, le comte de Linange, fatigué d'une lutte sans profit, proposa à sa femme de vendre cette seigneurie. Phi­lippe de Sarrebruck en fit l'acquisition le 10 Juin 1545 moyennant « 400 écus d'or au soleil ». Il donna mandat à son receveur Jean de Savigny d'en prendre possession.

Le 10 août suivant, celui-ci fit assem­bler ses sujets au nombre de 28 parmi lesquels 6 Lyauville et leur fit prêter un serment de fidélité.

A partir de cette époque, les habitants d'Euville durent fournir trois d'entre eux pour faire le guet au château de Commercy.

Le 11 décembre 1568, Charles III duc de Lorraine fait saisir Euville parce que le damoiseau de Commercy avait omis de justifier l'acquisition de ce fief. Après les formalités d'usage, main levée est donnée de cette saisie.

Dans la suite, pour dégager leur terre d'Euville de toute suzeraineté, les sei­gneurs de Commercy firent constater son indépendance et la qualifièrent de souveraineté.

Jean-François Paul de Gondy, cardi­nal de Retz, damoiseau de Commercy, en arrivant dans ses domaines, formula sa souveraineté sur Euville de la façon suivante : « Voulons et nous plaît de notre autorité souveraine, que doresnavant notre souveraineté d'Euville soit distincte et séparée en toute chose de la ville et des villages de notre terre de Commercy. »

Le cardinal possédait à Euville une petite maison proche le fort composée d'une chambre devant, une autre der­rière et la cuisine au mitan, une cave et une grange.

Lorsqu'il prit possession de la princi­pauté de Commercy, la Lorraine souffrait de l'invasion. Français et Suédois pillaient, pendaient et brûlaient à l'envi l'un de l'autre. Les Mortuaires relatent des morts survenues à la suite de vio­lences exercées par les soudards enva­hisseurs. Guiot Guiot fut assassiné par des soldats près de Vignot en 1636. Qua­tre ans auparavant, Nicolas Martin fut tué d'un coup d'arquebuse sur la côte de Sept-Fonds, près Vaucouleurs.

Le cardinal intervint auprès de qui de droit pour faire cesser cet état de choses.

Il rétablit la gruerie ou réglementation des forêts, car depuis le passage des Suédois l'exploitation était pratiquée par les plus hardis.

Les registres de la commune relatent que « le 24 février 1682, une quantité d'habitants de Jouy, tant hommes que femmes, tous armés de haches, hoyaux et fourches se rendirent au Svaz-Jobart (Sas-Jouba), ayant leurs chars et char­rettes, se mirent à charger les bois cou­pés dans les bois d'Euville, que le dict Euville tenait de Mgr le prince de Lillebonne et se mirent à couper le bois sur pied ». Jean Colas, lieutenant de police, François Pargny, garde-forestier, Mansuy, Mathieu et Claude Leclerc, jurés du dit bois, étant intervenus au moment où l'on chargeait les chariots, furent malmenés de la plus belle façon par Jean Ghartron, Jean Thiriot, Lalement et Erard Girodel, qui les frappèrent à coups de hache « II y aurait arrivé de funestes malheurs et quantité de meur­tres, si les forestiers et leurs recors qui n'avaient ni verges ni bastons, ni aucunes armes, ne s'étaient retirés on grande haste ».

Cette époque est une des plus trou­blées et des plus malheureuses qu'ait traversées notre pays de Lorraine. La Longue guerre de Trente ans a laissé ici un pénible souvenir. La poste et la famine vinrent ajouter leurs terribles effets à ceux de la guerre. Au coin du bois de Vertuzey, il existait encore, il y a quelques années, une croix de pierre où l'on pouvait lire l'inscription sui­vante : « Ci gist le corps de 100 ..... (illi­sible) qui moururent de peste au mois d'août 1632. Priez Dieu pour eulx. »

La famine fut terrible en Lorraine, elle y régna plusieurs aminées. On vit — chose monstrueuse — des enfants dévorer leurs parents vieux ou morts et des mères dépecer le corps de leurs bébés pour s'en repaître.

M. l'abbé Grandpierre, dans une notice sur le vieil Euville, rapporte que vers la même époque « une épidémie étrange sévit sur le pays ; on mourait en quelques heures, et ceux qui survi­vaient étaient couverts de pustules très longues à guérir ».

Les malades étaient transportés dans des loges situées à l'extrémité des « Ruelles » où on les abandonnait à leur triste sort. Des hommes hardis leur apportaient à manger au bout d'une perche et perçaient leurs abcès avec une pointe de fer fixée à un long bâton.

En 1665, le cardinal de Retz vendit sa Seigneurie de Commercy à la prin­cesse de Lillebonne et à son mari Fran­çois-Marie de Lorraine ; mais Louis XIII confisqua toutes les terres et sei­gneuries situées dans l'étendue des Trois-Evêchés. La princesse de Lillebonne, voyant les embarras que lui sus­citait le grand Roi, fit donation à son fils Charles, qualifié en naissant Prince de Commercy, de cette terre et de la Souveraineté d'Euville. Ce prince, atta­ché à la Maison d'Autriche, transmit à son cousin germain le duc Léopold, fils de Charles IV, avec la terre de Commercy « le souverain domaine d'Euville, ses dépendances et annexes, les droits de frapper monnaie, exercer la justice, accorder grâce, de donner droit, d'ac­corder des lettres de légitimation, de noblesse, d'exemption et d'établir les lois et les coutumes de souveraine jus­tice dans cette juridiction souveraine, d'imposer des tributs dans les mêmes lieux, d'avoir soin de faire tirer le nitre, faire travailler à la poudre, vendre et distribuer le sel en tous lieux, etc. »

En 1707, la principauté de Commercy et la Seigneurie Souveraine d'Euville passent aux mains du prince de Vaudémont, fils naturel de Charles III de Lorraine, par donation faite de la part du duc Léopold qui voulut récompenser ses bons services.

Le prince étant mort en 1723, le duc en fit la reprise de possession. Après sa mort, son fils en eut la jouissance  jus­qu'en 1736, époque à laquelle  la Lor­raine fut réunie à la couronne de France.

Elisabeth-Charlotte d'Orléans, mère de François III, eut pour douaire la principauté de Commercy et la terre d'Euville. Elle peut être considérée comme la dernière Souveraine d'Euville, car Stanislas ne fut que duc viager de Lorraine. A la mort de ce dernier sur­venue en 1766, tous ces domaines furent définitivement acquis à la France ; et Euville, perdant son autonomie, fut soumis au régime commun. Son histoire n'est plus distincte de celle des bourga­des voisines.

 

1 Dumont, Fiefs de la Meuse, p. 148

Période contemporaine

Nous sommes arrivés à la Révolution.

Les registres de 1788 à 1790 manquant aux archives, il nous a été impossible de reconstituer exactement ce qui s'est passé dans cette période de transition.

La tradition nous rapporte que les habitants d'Euville étaient favorables aux idées nouvelles, car leur civisme n'a jamais été mis en doute par les admi­nistrateurs de Bar-sur-Ornain. Le gref­fier de la mairie, Anthoine Vauthier, fut un des membres influents du Dis­trict de Commercy et le curé de l'épo­que, Jean-Claude Mercier, prononça le serment civique le 23 Janvier 1791, en présence du Conseil général de la com­mune assemblée ainsi que les autres citoyens à l'issue de la messe solennelle.

Voici les termes de ce serment : « D'après la connaissance que vous avez de mes sentiments, vous ne douté point que soit dans mes instructions et mes con­versations particulières j'aye donné lieu à soupçonner de la réalité de mon inten­tion dans tout ce que l'Assemblée nationale a décrété jusqu'alors pour opérer le bien ; en conséquence, je tâcherai de vous montrer l'exemple ; vous trouverez en moi un patriote dévoué au bien public sans gêner ma conscience qui ne quittera jamais la sainte doctrine et me dicte d'adhérer au décret émanant de cette auguste assem­blée sanctionnée par le roy. En consé­quence, je jure de veiller sur les fidèles qui me sont confiés, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roy, de maintenir la constitution décrétée par l'assemblée nationale et acceptée par le roy. »

Quelques années plus tard, le District, peu satisfait d'un dévouement qu'il pré­tendait intéressé, traita le curé Mercier de fanatique et le fit arrêter comme suspect. Mallarmé, député en mission, le laissa en prison jusqu'à plus ample informé ; après qu'il se fut rétracté, il le fit déporter à Rochefort où il mourut.

Le 13 novembre 1791, tous les citoyens actifs de la commune furent appelés à élire en leur âme et conscience un maire, un officier municipal, un procu­reur syndic et cinq notables. On appe­lait citoyens actifs ceux dont la contri­bution directe était équivalente à trois journées de travail, c'est-à-dire à six francs.

L'opération eut lieu dans l'église, paroissiale. Le curé Mercier fut nommé président du scrutin. Trente-un citoyens ayant voté, l'élection donna les résultats suivants : Florentin Taguel, élu maire ; Claude Billon, officier municipal ; Mar­tin Martin, procureur syndic ; Nicolas Martin, Pierre Martin, Louis Mochée, François Liouville, François Billon, notables.

Aussitôt après cette élection, le maire et les nouveaux élus prêtèrent en grande cérémonie et avec la plus vive émotion, le serment de maintenir la Constitution, d'être fidèles à la loi et au Roi.

En 1792, l'Assemblée législative ayant décrété la « Patrie en danger », un grand nombre de citoyens s'enrôlèrent pour défendre la liberté menacée ; à Euville, les citoyens Félix Lemoine et Nicolas Martin « s'offrirent volontaire­ment pour servir dans les gardes natio­naux de la Meuse ».

Lors de la Levée en masse en 1793, le 17 mars, Anthoine Vauthier, commis­saire nommé par le Directoire de Commercy, assembla le Conseil général de la commune et lui demanda de rendre compte des opérations qu'il avait pu faire relativement au recrutement.

Quatre hommes doivent fournir le contingent ; aucun ne s'étant présenté, le commissaire Vauthier fait assembler tous les garçons et les hommes veufs sans enfants de 18 à 40 ans. Il leur demande de s'entendre et de désigner ceux d'entre eux qui partiront à l'armée ; aucun volontaire ne s'étant offert, on procéda à un tirage au sort : Claude Marc, Nicolas Trusson, J.B. Husson, Dominique Gardeux forment le contingent.

Quelques jours après, le Directoire fait savoir qu'il est nécessaire de procé­der à un nouveau tirage au sort pour désigner un cinquième conscrit. Nicolas Conteau s'offre volontairement.

Vers la même époque, les hommes d'Euville adressèrent une pétition au Directoire de Commercy afin que celui-ci interdît les veilloirs. Il est permis de se demander à quel mobile ils ont obéi en cela. Peut-être craignaient-ils que la langue trop bien effilée de leurs dames ne les compromit par de vains bavarda­ges. Toujours est-il que leur requête ne fut point prise en considération ; elle fut même renvoyée à la mairie avec l'ano­tation suivante écrite en marge et signée de trois membres du Directoire : « Nous enjoignons à la municipalité et au comité de surveillance d'Euville de pro­téger la réunion des citoyennes patrio­tes, pendant qu'elles sont paisibles et que les réunions auront pour but un objet aussi louable que le travail ».

Signé : Psaume, Estienne, Baudot.

Le 8 mai 1793, « le Conseil général de la commune certifie avoir fait un examen général de tous les citoyens  "maison par maison, citoyen par citoyen et n'avoir supposé personne suspect de contre-révolution, ny d'avoir fait passer de l'argent, des chevaux ny munitions aux ennemis de la République, ny favorisé aucuns projets hostiles, ny manifestés aucuns opinions contraires à la Révolu­tion ; qu'en conséquence les armes offen­sifs et défensifs qui sont es mains des citoyens ne serviront que pour confon­dre les ennemis de la Patrie. La preuve est convainquante, le premier octobre dernier , la ville de Saint - Mihiel a demandé du secours, le tocsin a sonné, il n'est resté que les officiers municipaux à leur poste, ainsi il n'y a rien de changé depuis. »

Le 23 octobre de cette même année 1793 si féconde en événements, en exé­cution d'un décret de la Convention nationale relatif au maximum qui fixe le prix des denrées et marchandises de première nécessité ; la municipalité taxe le pot de vin (environ 2 litres) de pre­mière qualité à 24 sols ; la livre de pain des cabaretiers à 3 sous six deniers ; la journée de chaque individu comme il suit : batteur en grange 18 sous et nourri ; le tailleur d'habits 18 sous et nourri ; les couturières, lingères, laveu­ses de lessive à 12 sous et nourries ; les botteleurs de foin et de paille à 18 sous le millier sans nourriture.

Le 11 frimaire de l'an II, les citoyens Cellier et Thierry, commissaires délé­gués par le Département et le Tribunal révolutionnaire séants à Bar-sur-Ornain se rendirent à la maison commune d'Euville pour donner communication au Conseil général assemblé de l'arrêté du représentant du peuple Bô par lequel il doit être procédé à l'inventaire som­maire des matières d'or et d'argent, bijoux, cuivre, plomb, étain, fer, lingots, étoffes de toutes espèces, et généralement des effets existant dans les chapelles et églises du canton de Vignot ; ainsi qu'à l'enlèvement des tableaux et peintures. « Le Conseil général, après avoir ouï le procureur de la commune, ordonne que les susdits arrêtés seront suivis et exécutés selon la forme et teneur, nomme les citoyens Pierre Mar­tin, fisleur, notable, et Claude Billon, officier municipal, à l'effet d'assister les citoyens commissaires dans leurs opéra­tions. » On chargea sur des chariots les objets servant au culte et tout ce qui n'était point métal fut brûlé sur la place à Commercy.

Les mêmes commissaires délégués ayant donné communication de l'arrêté du représentant du peuple Fouché en mission à Nevers, le Conseil général, après « avoir ouï les mêmes procureurs de la commune, arrête que le dit arrêté sera suivi et exécuté selon sa forme et sa teneur, ordonne en conséquence que toutes les enseignes religieuses existant, tant dans les rues que sur les routes, ainsi que dans le territoire de la commune, seront, à la diligence du procu­reur de la commune, détruits dans l'es­pace de trois jours ; que les prêtres ne pourront paraître ailleurs que dans leurs temples avec les habits sacerdo­taux, sous peine de réclusion ; que lors du décès d'aucuns individus, l'officier publique sera tenu de conduire les morts entouré de ses parents et amis au lieu de la sépulture, que le même procureur devra faire faire dans le plus court délai un voile funèbre sur lequel sera peint le sommeil ; que le même procureur fera planter des arbres dans le champ des­tiné à la sépulture commune, au milieu duquel s'élèvera une statue représen­tant le Sommeil ; que tous les autres signes seront détruits ; que, par res­pect religieux aux mânes des morts, on inscrira : La mort est un sommeil éter­nel. Cette inscription sera peinte sur la porte de ce champ. »

Nous pouvons affirmer que ces pres­criptions n'ont point été exécutées.        i

A la même  époque,  nous trouvons dans les registres de la municipalité une déclaration ainsi conçue : « Je soussigné Nicolas Martin, sergent de la municipalité  d'Euville, certifie avoir battu la caisse dans tous les endroits ordinaires et fait lecture des décrets du 21 Septem­bre qui enjoint aux femmes de porter la cocarde tricolore ; un antre du 18e jour du 1er mois  de l'an 2e qui prescrit un terme pour l'enlèvement des signes de royauté et les formes qui devront précé­der la confiscation des terrains et édifi­ces sur lesquels on les aura laissé sub­sister ; un autre du 21e jour du 1er mois de l'an II qui ordonne de faire retour­ner les plaques de cheminées ou contre-feux portant des signes de féodalité.

Pendant le régime de la Terreur, les habitants d'Euville vécurent fort tran­quillement. Après la chute de Robes­pierre, sous le Directoire et le Consulat, ni les registres, ni la tradition ne rappor­tent aucun fait qui mérite la peine d'être signalé. Après avoir fait partie du canton de Vignot, de 1790 à 1795, Euville fut incorporé dans celui de Commercy, l'autre ayant été supprimé : le 25 vendémiaire de l'an IV. Durant ce laps de temps, il fut le siège de la justice de paix. Les registres mentionnent la nomination comme juge du   citoyen Joseph Martin,   qui  a prêté   serment devant le Conseil général  de la com­mune. Les audiences avaient lieu, paraît-il, dans la maison habitée aujourd'hui par M. Simon Martin, à la chambre der­rière.

Sous le premier empire, les municipa­lités n'eurent pas grand chose à délibé­rer, les ordres arrivaient de la préfec­ture, on les exécutait militairement ; tout était prévu et rien n'était laissé à l'initiative des communes.

Après Waterloo, les mêmes hommes que nous avons vus si ardents patriotes devinrent les fermes soutiens du trône et de l'autel. A Euville, comme ailleurs, on suivit les missions et les prières expiatoires avec ferveur ; on planta des croix clans les champs pour faire oublier la rébellion de vingt-cinq ans.

Jusqu'en 1818, Euville souffrit de l'oc­cupation étrangère, ses habitants durent loger une garnison de 75 soldats de l'ar­mée russe qui se montrèrent parfois fort exigeants et même brutaux.

Sous la Restauration, nos paysans n'eurent pas à intervenir dans les affai­res de l'Etat ; ici, aucun d'eux n'était assez fortuné pour payer le cens (200 fr. de contributions directes) qui leur per­mettait d'être électeurs.

Enfin, Louis-Philippe arriva au pou­voir et avec lui un peu de libéralisme. On planta un arbre de la liberté auprès de l'église, à côté du perron qui donnait accès dans l'ancien cimetière. On orga­nisa la garde nationale ; elle comptait 70 hommes environ. Les officiers ont été MM. Guillemin, filateur, et plus tard M. Deville.

Les hommes étaient équipés et volon­tiers ils abandonnaient les travaux de la campagne pour aller passer la Revue dans les plaines de Raulecourt ou à la Garenne.

La révolution de 1848 est accueillie avec enthousiasme et la proclamation de la République donne lieu à des réjouissances ; on plante un nouvel arbre de la liberté à la place de l'ancien qui avait séché. Le Conseil municipal se réunit extraordinairement le 8 mars et prend la délibération suivante : « La Municipalité d'Euville félicite le gou­vernement provisoire d'avoir rétabli spontanément l'ordre en France, et lui exprime sa reconnaissance. Elle offre à la République française son fidèle et loyal concours.

« Respect aux personnes, aux pro­priétés ! Bonheur du peuple, dignité de la France. »

Ont signé au registre: T. Simonin, E. Bourcier, D. Martin, Deville, Deville, Maillard, M. Martin, Gobert, Bataille, Lagravière.

Le coup d'Etat du 2 Décembre 1851 ne fit pas de victimes à Euville ; les mêmes conseillers municipaux que nous venons de voir adresser des félicitations au gouvernement provisoire de 1848, se réunissent le onze mai 1852 pour pro­noncer le serment prescrit : « Je jure obéissance à la Constitution et fidélité au Président. »

Lors de la proclamation de l'Empire, la municipalité, sur la proposition du maire, accorde à chaque électeur la somme de un franc « pour fêter ce jour dans une réunion en forme de banquet, ainsi qu'un bal aux jeunes gens des deux sexes, en même temps qu'une distribu­tion de comestibles aux indigents. »

Sous le second Empire, les carrières prirent une grande extension, grâce à la construction du canal de la Marne-au-Rhin et du chemin de fer de Paris à Strasbourg. Quelques enfants d'Euville allèrent batailler en Crimée et en Italie, mais aucun d'eux ne s'illustra dans les exploits de Mars.

En 1870, la guerre avec l'Allemagne fut accueillie avec joie, car on croyait qu'il s'agissait seulement d'accomplir une marche militaire victorieuse. Malheu­reusement le 15 août, jour de la fête de l'empereur, les Prussiens étaient à Euville. Ils campèrent dans la prairie au nombre de 20.000 environ ; pour construire leurs abris, ils saccagèrent tout un beau coin de la forêt communale et pillèrent sans merci le village. Durant la campagne, des exactions de toute nature furent supportées par les habi­tants. Les cultivateurs partirent au con­voi el beaucoup d'entre eux furent emmenés très loin. Un grand nombre abandonnèrent leurs attelages pour ren­trer au pays.

Un commandant de la landwehr, en garnison à Void, réquisitionnait chaque jour à Euville, parce qu'il était assuré d'y trouver ce qu'il lui fallait ; fort heu­reusement pour les habitants que la commune était déjà riche et pouvait leur venir en aide ; sans quoi, c'eût été la misère. Les exigences du vainqueur semblèrent s'apaiser lorsque quelques habitants d'Euville se signalèrent par un acte d'humanité tout à leur honneur. Une estafette prussienne descendant un jour au grand galop devant l'église, fit une chute si malheureuse qu'elle resta inanimée sur le sol. Quelques personnes témoins de cet accident lui portèrent secours. A partir de ce moment, le village fut moins souvent mis en coupe réglée.

Après les défaites des armées réguliè­res et la capitulation de Paris, on signa le traité de Francfort. En attendant le paiement de l'indemnité de cinq mil­liards, notre pays eut une troisième fois à supporter la présence de l'étranger.

Ici s'arrête l'histoire proprement dite du village d'Euville ; il ne nous reste plus qu'à étudier quelques questions secondaires en apparence et qui cepen­dant présentent un grand intérêt.

Administration

Les damoiseaux de Commercy fai­saient administrer leur souveraineté d'Euville par les prévôts de Commercy, lesquels ont rempli les fonctions de Mayeur (maire) de 1613 à 1692, avec l'assistance d'un lieutenant.

Ce sont :

Jehan Laurent, licencié es lois, pré­vôt de Commercy, mayeur d'Euville.

Antoine du Laurent, mayeur d'Euville.

J.-B. de Tailfumyer, escuyer.

Lieutenants : Laurent Laurent, Tho­mas Billon. Nicolas Ligier, Simon Mar­tin, Jean Colas.

En 1692, après la saisie de la Lorraine par Louis XIV, Euville possède un maire propre pris dans son sein.

Le premier de ces maires est Jean Colas, auparavant lieutenant. Pierre Liouville, mayeur en 1699, l'était encore en l70l.

          Jean Larcher, qui eut pour successeur Christophe Bataille, greffier en la mairie.

          Joseph Pargny, maire de 1737 au 30 juin 1744.

          Joseph Liouville, maire (l744-1775).

          Jean Trusson (1775-1780).

          Louis Moutillard (1780-.....).

Nicolas Martin prend la municipalité le 1er Janvier 1791 et il est remplacé le 13 novembre suivant par Florentin Taguel, élu, comme nous l'avons vu, à la pluralité des voix de tous les citoyens actifs.

Isambart, ancien bénédictin de l'ab­baye de Senones, reste à la tête de la municipalité de 1799 à 1815.

En 1815, il est remplacé par Nicolas Martin, lequel a pour successeur Joseph Mochée en 1816. Celui-ci meurt en 1831 et Joseph Lagravière administre pen­dant trente ans la commune d'Euville.

Puis viennent MM. Antoine Taguel jusqu'en 1871 ; Joseph Lagravière, fils du précédent, de 1871 à 1878 ; de 1878 à 1884, Charles Simonin ; puis Claude Martin jusqu'en 1888 ; Pierre Ligier, de 1888 à 1896, et enfin M. Evariste Mail­lard, maire actuel.

Sous l'ancien régime, il n'existait pas de conseil municipal. Le maire était l'homme du gouvernement, celui de la communauté était le syndic. Il existait également deux notaires jurés. Le tabellionnage remonte à 1613 au moins ; il fut réuni à celui de Chonville en 1712.

La prépondérance du syndic était très grande. Il avertissait le maire et le requérait de convoquer la communauté pour délibérer et conclure toutes les fois qu'il y avait des réparations à faire aux bâtiments, lorsqu'il s'agissait d'élire le maître d'école, les échevins, les bangardes, les forestiers, ou de fixer le jour où commençait la fenaison, la moisson, la vendange. Il opérait en outre les recet­tes ou les dépenses, il pouvait intenter ou soutenir un procès. Le maire exer­çait les fonctions de juge de paix, il pouvait condamner à l'amende et même à la prison ; dans les causes appelées devant lui, le syndic remplissait le rôle de ministère public.

Les syndics, les quatre députés, éche­vins de communauté, les quatre bangardes (gardes-champêtres) et les deux forestiers étaient élus pour un an seule­ment, on pouvait les réélire chaque année. Le premier jour de l'an, le mayeur faisait assembler les hommes à la sortie de la messe paroissiale pour procéder à l'élection. Le vote était même obligatoire et nul ne pouvait s'abstenir d'y prendre part sous peine d'une amende de 5 fr. Les forestiers élus prêtèrent serment jusqu'en 1748 devant le lieutenant général du baillage de Commercy, et à partir de cette date jus­qu'à  la Révolution devant les officiers de la maîtrise des Eaux et Forêts de St-Mihiel.

Les femmes étaient appelées à élire une sage-femme. « Le 20 octobre 1770, Anne Guillaume, femme Gane, est élue par l'Assemblée des femmes de la com­mune en présence du curé, assisté de Louis Mochée, régent d'école ». Elle prêta serment entre les mains du sieur curé conformément au Rituel diocésain.

Jusqu'en 1870, les maires étaient nommés par le préfet, ils étaient tenus de prononcer un serment  de fidélité au souverain.

Sous l'ancien régime, la mairie avait son greffier, mais ce dernier n'était ni à la nomination du maire ni à celle de la communauté. « Claude Etienne, conseil­ler de l'hôtel de ville de Commercy, fer­mier du domaine d'Euville, a laissé et admodié le greffe de la mairie dudit lieu à Martin Nicolas pour luy tenir et exer­cer le dit droit de greffe pendant 6 années ». Plus tard encore, nous retrou­vons des actes par lesquels le fermier du domaine présente des candidats aux fonctions de greffier.

Celui-ci recevait les plaintes des par­ticuliers et les rapports des gardes, il signait les délibérations de la commu­nauté, ainsi que les jugements rendus par le mayeur.

Le fort

Jamais Euville n'a possédé de château féodal. Comme dans beaucoup de villages : Lérouville, Pont-sur-Meuse, l'église était le centre d'un système de défense suffïsant pour abriter la population en temps de guerre. Le fort protégeait à la fois l'église et les habitants. Les murs du cimetière, fort hauts, servaient de remparts, et la situation élevée du ter­rain en favorisait la défense. En cas d'alarme, la cloche de l'église sonnait le tocsin. A l'instant, chacun abandonnait ses travaux et arrivait avec sa famille et ses animaux occuper la loge qui lui était destinée à l'intérieur du fort.

Cette loge, sorte de réduit obscur, prenait jour à l'intérieur par une large baie et à l'extérieur par une meurtrière très haut placée dans le mur d'enceinte.

Cette forteresse s'étendait depuis le manoir (maison de M. Alphonse Mar­tin), d'une part, jusqu'aux Ruelles. Nous ne pouvons affirmer que les gens d'Euville s'y soient réfugiés souvent : la situa­tion indépendante de leur village leur assurait peut-être une neutralité très rarement violée.

La destruction du fort et des loges date seulement du 18e siècle. La tradition ne nous a pas conservé le souvenir exact de cette vaste construction et personne ne peut en indiquer ni la forme ni les dimensions. M. Grandpierre rap­porte « qu'il y avait au fort des provi­sions d'armes et de poudre ; la pou­drière ou poudrerie, comme on disait alors, existait là où se trouve actuelle­ment le lavoir de la Batterie, sur le ruisseau qui vient d'Aulnois. »

Certains historiens locaux ont pré­tendu, à tort, qu'on battait monnaie à cet endroit. Les damoiseaux de Commercy n'ont jamais usé de ce droit ; ils se contentaient de régler le cours de celles en usage. Le nom de Batterie vient de ce qu'autrefois, il existait un moulin auquel était annexée une batte­rie de chanvre.

Impôts et droits seigneuriaux

Les laboureurs devaient au domaine, pour chaque charrue, deux bichets de conseigle râclé, mesure de Commercy, au woijien [1] ; au mars, ils devaient deux grands bichets d'avoine roizelé.

La dime était un impôt prélevé en nature sur les produits de l'agriculture. On distinguait : les grosses dîmes préle­vées sur le blé, l'avoine, l'orge, le vin ; les menues dîmes, perçues sur les pois, les haricots, fèves, sainfoin, luzerne, chanvre, lin, etc., poulains, veaux, porcs, agneaux, laine, poulets, etc., et enfin les vertes dîmes sur les poires, pommes, noix, cabus, pommes de terre.

Chaque année, les fermiers du Domaine présentaient à la communauté assem­blée à la fin de la messe paroissiale, deux Pauliers chargés de recueillir les dîmes. Après examen de leurs réfé­rences, ils étaient acceptés ; ils promet­taient solennellement de « faire fidèle­ment leur devoir sans consulter la haine et écouter la faveur ». Le commandeur de Marbotte était décimateur pour les 2/3 de la grosse dîme, et le curé l'était pour l'autre tiers et les menues et vertes dîmes.

Par une chaude journée d'août, alors que les paysans harassés de fatigue et de chaleur, achevaient péniblement leur dur labeur, les pauliers s'avançaient dans la plaine, l'un armé d'une longue fourche et l'autre monté sur le char. Le pauvre manant, quittant sa faucille et redressant péniblement son corps courbé par le dur labeur, s'empressait d'aligner les gerbes au bord de son champ. Le paulier enfourchait les plus belles et les lançait à son compagnon qui les arran­geait sur le chariot. On réunissait le produit des dîmes dans une grange située au milieu du village, dans la mai­son où se trouve aujourd'hui le café Gérard.

Nous dirons, en passant, que la pomme de terre était connue à Euville long­temps avant que Parmentier ne l'intro­duisit en France. Il en est fait mention dans le registre de 1766 à propos juste­ment de la dîme.

Le four banal était situé en bas de la rue des Carrières, dans les environs de la maison qui porte aujourd'hui le numéro 10. Le seigneur le laissait à ferme moyennant un loyer de 140 à 150 francs barrois. Ce four n'empêchait pas les particuliers de cuire chez eux moyen­nant une redevance.

Le four banal fut supprimé le 3 Jan­vier 1725, à charge par les habitants de payer au seigneur et plus tard au domaine 4 francs barrois pour chaque ménage et 3 fr. pour les veuves et les filles.

En outre de la dîme et des droits sei­gneuriaux dont nous venons de parler, les habitants d'Euville étaient assujettis à la corvée, impôt très lourd et souvent vexatoire. Ils étaient tenus d'acheter leur sel dans les greniers de Commercy cinq fois plus cher au moins qu'il ne vaut aujourd'hui. Chaque famille devait prendre par an et par personne au-des­sus de sept ans six livres de sel : c'était « le sel de devoir » qui ne pouvait être employé que pour « pot et cuiller », c'est-à-dire pour saler les aliments de chaque jour.

Si l'on voulait faire des conserves, il fallait acheter d'autre sel, même si l'on avait économisé sur le sel de devoir ; et cela sous peine d'amende.

Le seigneur percevait en outre une redevance en argent appelée cens, puis le terrage ou droit sur une partie des fruits provenus sur les terres roturières, les aides ou impôts indirects perçus principalement sur le vin même récolté par les manants et consommé par eux ; les lods et ventes dus pour les héritages et les ventes. Chaque ménage lui devait en outre deux poules par an. Ces droits ne tombèrent jamais en désuétude, il fallut les acquitter jusqu'à la Révolution; à la fin les redevances seigneuriales se payaient en argent.

Et dire que l'on appelle cela le bon vieux temps !

 

[1] Le woijien comprend les travaux de labour et de semailles qui ont lieu à l'automne

Instruction publique

Par une ordonnance en date du 28 mai 1695, l'évêque de Toul, M. Henry de Thiard de Bissy se prononce en faveur de l'instruction obligatoire : « Nous ordonnons aux pères et mères sous peine d'être privez des sacrements même au temps de pâque, d'envoïer leurs enfants, garçons et filles, à l'école depuis la Toussaint jusqu'à Pâques au moins, et pendant le reste de l'année le plus exactement qu'ils pourront et afin que personne ne s'excuse, nous voulons que les pauvres soient enseignez aux dépens de la fabrique, ou sur d'autres fons ou gratis. »

Ne nous méprenons point cependant sur le but de cette ordonnance épiscopale ; son auteur voulait avant tout que les enfants fussent instruits des choses de la religion, car il est dit également, dans cette même ordonnance, que les parrains et marraines, les gens qui se marieront seront interrogés sur leurs devoirs de chrétiens.

L'instituteur qu'on appelait à cette époque régent d'école, était nommé cha­que année par la communauté en pré­sence du curé ; il pouvait être réélu.

En 1746, Pierre Mochée fut élu régent l'école ; il fut réélu l'année suivante, mais il mourut le 17 décembre 1747 et fut remplacé par son frère Louis, qui resta instituteur à Euville pendant plus de quarante ans. Son fils Joseph lui succéda en 1791. Voici, à titre de curio­sité, la délibération prise à son sujet :

« Ce jourd'hui 6 mai 1791, le conseil général de la commune d'Euville assem­blé au greffe en présence du sieur curé, après avoir pris connaissance des mœurs et capacités de Joseph Mochée, jusqu'à ce jour employé et depuis sa jeunesse à l'éducation des enfants du lieu, est con­venu avec le dit Mochée qu'il instruirait tous les enfants dudit lieu tant à écrire qu'à lire, chiffrer et orthographier ainsi que leur religion ; à commencer à la St-Remi prochain et continuer pendant toute l'année tant qu'il aura au moins 20 élèves, excepté les mois de juillet, août et septembre. Pour rétribution de tout quoi il aura par chacun écolier 3 sous de France et 4 sous même cours pour ceux qui écriront par chacun des mois qu'ils seront instruits.

Sera tenu de plus le sieur Mochée de servir à l'église les veilles de fêtes et de dimanche ainsi que les jours desdites fêtes et dimanches pour y servir de chantre et faire les prières accoutumées, et qui sont d'usage dans le lieu, d'assis­ter le sieur curé dans l'administration des sacrements ainsi que dans tous autres actes publics et religieux ; sera de même tenu de servir de chantre à tous les obits et fondations pour la rétri­bution ordinaire et usages du lieu : sera tenu par delà de porter l'eau bénite tous les dimanches de l'année à un cha­cun des habitants sous la rétribution de 6 sous de Lorraine par chaque habitant. Il a été convenu entre la dite commune et municipalité et le même Mochée sans déroger aux rétributions cy devant spé­cifiées qu'il aura une somme de 120 livres de France à prendre sur les revenus de la fabrique... ».

D'après ce que nous avons vu précé­demment, le maître d'école cumulait ses fonctions d'éducateur de la jeunesse avec celles de chantre et de sacristain, mais il n'était point secrétaire de la mairie. Le premier instituteur-greffier fut le citoyen Mangin Pierre nommé à la date du 23 pluviôse an X.

En 1827, le Conseil municipal se réunit extraordinairement pour procéder à la nomination de deux maîtres : un pour les garçons, l'autre pour les filles ; les sieurs Claude Guillaume et Thomas Billon sont acceptés comme maîtres d'école. Le Conseil municipal leur alloue un trai­tement de 200 fr.

En 1830, la municipalité porte à 400 fr. le traitement de l'instituteur, l'écolage de ce fait est payé par la commune et le maître d'école est logé.

Ceci démontre amplement qu'à Euville on a toujours favorisé l'instruction ; cette bonne tradition s'est perpétuée et aujourd'hui encore, les écoles sont de véritables palais. Les enfants étaient encouragés, il y a quelques années, par des distributions de prix ; aujourd'hui, on organise des voyages scolaires aux­quels prennent part les écoliers les plus assidus et les plus travailleurs.

Les principaux instituteurs qui se sont succédé dans la commune depuis l'orga­nisation légale de l'instruction publique en France, sont MM. Thomas Billon, Conte, Goubert qui devint inspecteur primaire, Collignon, Viriot, Carchon, Voisin, Florentin (Carrières). Depuis 1897, la population des carrières ayant augmenté considérablement, il a fallu créer une école dans ce hameau.

L'éducation des filles fut confiée à partir de 1825 à une sœur de la Doc­trine chrétienne de Nancy. A partir de 1891 le poste fut laïcisé ; la première ins­titutrice fut Mlle Adrian, qui resta à Euville jusqu'en 1902, elle fut remplacée par Mlle Barrois, qui quitta l'enseigne­ment et eut pour successeur Mlle Manceaux.

En 1902 il a fallu créer une seconde classe aux carrières, c'est Madame Flo­rentin qui la dirige.

Poids et mesures - Monnaies

La fixation des poids et mesures appartenait au seigneur qui en tirait ainsi un léger revenu. Les mesures de longueur étaient la toise, se divisant en 6 pieds, le pied en 12 pouces, le pouce en 12 lignes, la ligne en 12 points. L'aune des tisserands devait avoir 25 pouces.

Les mesures de surfaces étaient : pour les terres, le jour ; pour les prés, la fau­chée ; pour les bois l'arpent.

C'était la même mesure désignée sous trois noms différents, elle se trouve représentée par 33 ares 90. La verge était de deux sortes : de douze pieds de Lorraine ou de dix. Dans le premier cas, il fallait 288 verges pour le jour, la fau­chée ou l'arpent : dans le second cas, il en fallait 320.

Le bois de chauffage se mesurait à la corde de huit pieds de long sur quatre de hauteur et quatre de largeur. La solive pour le bois de construction était de 3 pieds de long sur un pied d'équarrissage.

Les céréales se mesuraient au bichet, au septier et au muid. Le bichet raclé (pour le blé) équivalait à deux décalitres soixante treize décilitres, et le bichet comble à trois décalitres soixante-qua­tre. Il fallait deux bichets pour le septier et trente-deux pour le muid.

La chopine, la charge et la pièce ser­vaient dans la mesure du vin. La charge était de 16 pots faisant environ 40 l., la pièce contenait quatre charges et demie (mesure de Bar).

L'unité de poids était la livre, qui valait 16 onces, l'once 8 gros, le gros 72 grains.

Les monnaies en usage étaient le franc barrois valant 12 gros, le gros valait 4 blancs,  le blanc 4 deniers, le denier 2 oboles, l'obole 2 piles.

On compte encore aujourd'hui par jours, fauchées, verges, solives, mais les autres mesures sont tombées en désué­tude : nous espérons que les jeunes générations abandonneront bientôt les dénominations archaïques pour l'éva­luation de la surface de leurs terrains et qu'ils ne se serviront que des termes employés dans le système métrique.

Les carrières

Les Carrières sont situées au Nord-Est du village, à 3 km. environ et à l'Est de Commercy dont elles sont distantes de 6 km.

Leur origine parait être fort ancienne ; en 1574, il est dit que les seigneurs de Commercy Antoine et Henri de Silly possèdent des perrières  (carrières), à Euville.

La commune est propriétaire de la Vieille et de la Grande carrières, ouver­tes dans ses bois.                                       

La Sablière appartient à MM. Civet, Pommier et Cie.

La Vieille Carrière existe depuis fort longtemps, puisqu'en 1616, le sieur Nicolas Grosjean paie une redevance de 29 livres pour tirer toute la pierre qui lui sera nécessaire, à charge par lui de maintenir la carrière en état cons­tant d'exploitation. Les piles et le tablier du grand pont de Toul ont été bâtis vers cette époque en pierre d'Euville. En 1775 le sieur Liouvile paie 225 l. de location ; en 1790 elles sont louées 500 l.

Pendant la Révolution, la commune d'Euville se voit menacée de rendre ses bois à l'Etat et par conséquent de perdre ses carrières, sous prétexte que la dona­tion qui en a été faite par le seigneur est entachée de précarité. Le Directoire du département la maintient dans ses droits. Attaquée de nouveau en 1810 et en 1815, elle a gain de cause devant le Conseil d'Etat.

M. Blanchefort, fermier de la carrière, pendant plus de 40 ans, la loua succes­sivement 300 fr., 600.fr., 1.800 fr., puis 2.000 fr. et enfin 5.000 fr.

La construction du canal de la Marne-au-Rhin apporta une grande modification dans l'exploitation. Il fallut pro­duire en grande quantité et rapidement. Des particuliers : MM. Deville et Mathelin, son gendre, ouvrirent une carrière dans leurs propriétés. C'est de cette époque que date l'ouverture et la mise en exploitation de la Sablière.

Vers le même temps, on construisit le chemin de fer de Paris à Strasbourg, la quantité de pierre engloutie pour l'édifi­cation des ouvrages d'art anéantit pres­que la Vieille Carrière dont le prix de location baisse de 5.000 fr. à 3.200 fr.

La commune procéda alors à des son­dages et ouvrit la Grande Carrière.

Depuis cette époque, la production et l'extension des carrières n'ont fait que croître jusqu'à ce jour.

En 1816, on extrayait, sur le territoire d'Euville, environ 70 mètres cube de pierres de taille annuellement ; avant l'établissement du canal de la Marne-au-Rhin 1.700 m. c. ; en 1836 de 4 à 5.000 m. c. et aujourd'hui la moyenne dépasse 20.000 m. c.

Vers 1820, le mètre cube se payait 12 fr. ; en 1850, 18 fr. ; aujourd'hui, les morceaux tout venants valent de 35 à 50 fr. le m. c. ; les blocs de grandes dimensions 100 ou 120 fr. ; quant à ceux qui sortent façonnés des ateliers de taille, leur valeur varie, non seulement avec la nature de la pierre, mais encore avec le fini et la délicatesse du travail.

Le nombre des ouvriers, inférieur à 100 pendant longtemps, atteint aujour­d'hui le chiffre de 400.

Pendant les neuf années qui viennent de s'écouler, MM. Fèvre et Cie, de Paris, louaient les carrières pour l'énorme somme de 160.000 fr., savoir : la Grande 100.000 fr et la Vieille 60.000 fr.

Au renouvellement du bail en Janvier 1908, la première a été adjugée pour 50.000 fr. ; quant à la seconde, dont le bail expire en 1909, personne n'ose dire combien elle sera louée, de crainte de se tromper. Le bloc plonge et la hau­teur des déblais augmente très sensible­ment. Tout laisse à penser que si l'on ne trouve pas d'autres gisements dans les environs, l'ère de prospérité d'Euville est sur le point de se terminer.

 

Nature de la pierre. — La formation de la pierre d'Euville remonte à la période secondaire. « C'est un calcaire oolithique à entroques blanchâtres, miroitant, dur, formé de débris de cils ou d'articulations d'encrines en lamelles spathiques, réunis par un ciment cris­tallin. Le banc à exploiter a une hauteur moyenne de l5 m., il présente deux assises de qualités différentes : la pre­mière, dont le grain est le plus gros, est dite : « pierre de construction », celle dont le grain est le plus lin est dite « marbrier ». La première est employée dans les travaux courants, la seconde dans la sculpture. »

Extraction. — L'exploitation des car­rières d'Euville se fait à ciel ouvert. Ce sont de grandes excavations profondes de 30 à 40 mètres et longues d'environ 500 mètres.

On commence d'abord par déblayer la terre végétale, les roches plus ou moins compactes qui se trouvent au-dessus de la pierre franche. Autrefois, les « découverts » se pratiquaient facile­ment à la pelle et au tombereau ; mais depuis longtemps déjà, on fait usage d'explosifs très puissants : dynamite ou cheddite. Les débris sont enlevés au moyen de wagonnets et versés en dehors de la carrière. Ils forment des « cava­liers » gigantesques qui sont de vérita­bles montagnes artificielles ; MM. Fèvre et Cie expédient la meilleure partie de leurs déblais dans certaines forges où l'on en fait de la chaux.

Le « blo » comme disent les carriers, n'est pas une masse absolument com­pacte ; des soulèvements survenus après son dépôt dans les eaux de la période secondaire lui ont fait prendre des incli­naisons et l'ont brisé en prismes de l5 à 30 m. de longueur par des fissures ver­ticales appelées routes.

La masse se délite par bancs superpo­sés. Le travail du carrier consiste tout d'abord à reconnaître la hauteur du pre­mier banc. Il y arrive en pratiquant une petite tranchée horizontale appelée passée, dans laquelle il met des coins d'acier calés par de petites plaquettes de bois taillées en biseau qu'on appelle paumelles. Celles-ci empêchent le coin de sauter sous le choc de la masse. L'ouvrier frappe sur les coins jusqu'à ce qu'une fissure indique que la sépara­tion a lieu. Une fois le banc levé, l'ou­vrier fait une passée verticale, met des coins et frappe, il arrive ainsi à isoler un morceau qu'il écarte du bloc au moyen de pinces et de crics. On le fait glisser en plaçant dessous des galets de fonte ou des rouleaux. On l'amène ensuite au bord du bloc et on le bascule dans le chantier où il sera ébauché.

Ce mode d'extraction serait parfait si les fissures qui isolent les bancs de la masse étaient plus rapprochées. Sou­vent elles sont trop éloignées l'une de l'autre et l'épaisseur du banc est trop considérable pour que le travail ne pré­sente pas de grandes difficultés. Aussi se décide-t-on à séparer la masse en prismes de moindres dimensions. Pour cela, on creuse des tranchées sur toute la hauteur du bloc. Ces tranchées appe­lées enjarrots ont juste la largeur néces­saire pour qu'un homme y puisse tra­vailler en se tournant un peu, c'est-à-dire 0 m. 50 à 0 m. 70. C'est un travail long et pénible, car un ouvrier passe souvent une année entière à descendre un enjarrot du haut en bas.

On a remplacé ce travail à bras d'homme par celui d'une machine appelée trancheuse. Au début, elle était actionnée par la vapeur ou l'air com­primé, aujourd'hui, elle marche à l'élec­tricité. La trancheuse se compose essen­tiellement d'une barre d'acier qui frappe verticalement on s'enfonçant de quel­ques millimètres à chaque chute. L'outil se déplace automatiquement dans le sens de la longueur et l'avancement se fait soit en avant, soit en arrière.

Lorsque le prisme est détaché à droite et à gauche, on procède à son décolle­ment au moyen de coins, comme il a été dit plus haut.

Afin d'éviter le brisement qui peut se produire dans la chute du morceau. MM. Civet, Pommier et Cie utilisent un pont roulant métallique ou grue gigan­tesque d'une force de 50 tonnes et dont la poutre est à 30 m. au-dessus du sol. A l'aide de cette puissante machine, on prend les blocs dans le chantier d'ex­traction et on les dépose dans celui débauchage où on lui donne une forme géométrique. Les ébaucheurs, armés d'un pic appelé tranche, débitent les pierres d'après les dimensions données. Les chefs de chantiers guident ces ébaucheurs et dirigent leur travail, ils cubent la pierre, la marquent et font les expé­ditions.

Les morceaux ébauchés sont chargés sur des fardiers pour être transportés à la gare de Commercy ou aux ports d'embarquement du canal de l'Est. MM. Fèvre et Cie, adjudicataires des carriè­res communales, utilisent seuls le che­min de fer établi par la commune et qui relie leurs chantiers au port de Vertuzey.

Autrefois, on procédait au charge­ment des chariots au moyen de plans inclinés, de rouleaux et de treuils appe­lés crapauds. Tout ce matériel dange­reux  et suranné a presque entièrement disparu, il est remplacé par des grues tournantes à vapeur.

 Les expéditions par voie d'eau se font surtout pour les destinations lointaines : Paris, le Nord de la France, la Belgi­que, la Hollande. Un bateau met un mois environ pour arriver à Paris et 5 à 6 semaines pour aller à Bruxelles et Anvers.

La roche d'Euville se coupe à la scie, elle se taille facilement et se polit comme du marbre. Chacune des deux compa­gnies a installé une scierie à vapeur où des scies à diamants, horizontales et circulaires débitent très rapidement la pierre même en morceaux de faible épaisseur.

A chacun de ces établissements est adjoint un chantier de taille. Un appareilleur trace les morceaux et en sur­veille l'exécution ; lorsqu'ils sont termi­nés, on les numérote comme les pièces d'un jeu de patience. Quand ils sont arrivés à destination, il ne reste plus qu'à les poser presque sans retouches.

Les ouvriers gagnent bien leur vie ; les manœuvres et les terrassiers gagnent en moyenne de 0 fr. 33 à 0 fr. 45 par heure ; les carriers employés en régie ont de 0 fr. 50 à 0 fr. 60. Beaucoup d'entre eux travaillent à la tâche, c'est-­à-dire au mètre cube extrait et ébau­ché, le prix moyen est de 20 fr.

Les tailleurs de pierre sont payés au mètre superficiel et leur salaire varie en outre avec le fini et fa délicatesse de leur travail.

Pendant les bonnes journées, le gain mensuel d'un bon tailleur de pierre se monte parfois à plus de deux cents francs.

En outre, des ouvriers chargés des différents travaux énumérés, l'entretien du matériel et la conduite des machines nécessitent la présence de chauffeurs, de mécaniciens, d'ajusteurs, d'électri­ciens, de forgerons, de charrons, etc., Tous ces artisans sont également bien payés.

Les grèves sont rares, on n'en compte que trois ; encore n'ont-elles pas eu tou­tes pour cause la lutte entre le capital et le travail.

La première s'est produite en 1894 au lendemain de l'assassinat du prési­dent Carnot par l'anarchiste Caserio. Nos ouvriers, justement indignés,  ont compris dans le même sentiment de réprobation tous ceux qui étaient de la nationalité de ce misérable ; ils ont chassé les Italiens.

En 1901, ceux-ci ayant fait leur réap­parition, un nouveau soulèvement se produisit ; la troupe dut intervenir et les étrangers restèrent.

Enfin en 1908, les tailleurs de pierre firent une grève pacifique, la grève des bras croisés, à propos d'un différent sur les prix. Après une entente entre patrons et ouvriers, le travail reprit sans qu'au­cune violence eût été exercée.

Nous souhaitons que la bonne har­monie dure toujours, tout le monde y gagnera ; ce ne sont pas les agitateurs qui reçoivent le contre-coup de ces cri­ses économiques : ils disparaissent géné­ralement lorsque la misère est entrée au foyer du travailleur.

 

Le hameau. —Jusqu'en 1850 — époque à laquelle fut construite la cantine —  il n'y avait pas d'habitants aux Carrières ; il y a vingt ans on en comptait à peine 40. Aujourd'hui le hameau des Carrières est peuplé par 592 habitants (recensement de 1906). Il se divise en trois parties : la Villette (cité de MM. Fèvre et Cie) ; les Cantines (cité de MM Civet-Pommier) ; le Fort Chabrol où sont parqués les Italiens. Tous ces habitants –nous ne parlons que des Français – viennent en majeure partie de la Bourgogne et du Morvan ; quelques familles sont établies là depuis plus de trente ans. Un certain nombre d'Italiens se sont mariés au pays et sont naturalisés Français. Les aborigènes y sont peu nombreux.

Emploi. — C'est M. Civet père qui a introduit la pierre d'Euville dans les travaux de Paris où elle est aujourd'hui la pierre dure la plus usitée. Les pre­miers essais ont été faits au Pont Neuf.

On expédie de « l'Euville » un peu partout : à Paris, en province, en Alle­magne, en Amérique ; mais les centres de consommation sont surtont la Belgi­que et la Hollande. Le grand Opéra, les vasques de la Fontaine des Inno­cents, le Grand Hôtel, le pont Alexan­dre III à Paris, les principaux monu­ments érigés par Stanislas à Nancy, les ouvrages du canal de la Marne au Rhin et du Chemin de fer de l'Est sont cons­truits en grande partie avec de la pierre d'Euville de même que le socle du châ­teau de M. F. Krupp, à Bredeney, l'Eglise catholique d'Essen et grand nombre de constructions princières en Allemagne.

En Belgique, le château de Lacken, les Banques nationales de Bruxelles et d'Anvers, des écoles, des églises, etc.

Les forts de la région de l'Est, la ville de Commercy et beaucoup de villages des environs sont bâtis presque entière­ment avec la pierre de nos carrières.

Durant la législature de M. Claude Martin (1884-1888), la commune fit l'ac­quisition de la forêt de Menton située entre Vertuzey et la gare de Sorcy ; en outre des bois qui permettent de distri­buer des affouages abondants, Euville possède une carrière de pierre à chaux qui fut mise en exploitation par M. Thomassin et ensuite par M. de Wendel, le puissant métallurgiste du bassin de Longwy.

Autres industries. — II existait, dit la légende, deux fabriques de poudres à Euville, l'une située à la « Batterie », l'autre au-dessus de la fontaine des « Doigts ». C'étaient tout simplement deux magasins ou poudrières. La pre­mière était attenante au moulin-haut ainsi qu'une batterie de chanvre, dé là le nom du lavoir actuel.

Un second moulin, dit moulin de Presle, se trouvait dans la prairie entre Euville et Commercy, c'est la malterie actuelle.

En 1822, Léopold Guillemin, négociant à Comrnercy, fit établir sur l'emplace­ment de ce moulin une filature de coton qui fonctionna jusqu'en 1844. Cette manufacture a été bâtie avec les démo­litions d'une aile de l'abbaye de Rangéval. Elle fut incendiée et les patrons rui­nés ne continuèrent pas l'exploitation d'une industrie qui périclitait. La filature fut remplacée par un moulin qui fut transformé en malterie.

MM. Betting, administrateurs des Grandes Brasseries de Maxéville, ont cessé depuis quelques années de fabri­quer leur malt à Euville, nous croyons même que l'établissement est à vendre.

Agriculture

Le seigneur possédait les meilleurs terrains : l'ancien domaine de Sarrebrück situé à la sortie du village du côté de Commercy, les champs environ­nant la malterie et le cimetière. Le reste appartenait aux paysans.

La ferme seigneuriale était exploitée par un admoniateur qui jouissait de cer­tains privilèges ; entre autres du jour de prélation, c'est-à-dire du droit de com­mencer seul la fenaison ou la moisson la veille de l'ouverture du ban. Il était en outre exempt de payer les dîmes et les contributions ; il percevait le droit d'assise ou cens et le terrage.

Chaque année, le Syndic de la com­munauté prévenait le maire lorsque la saison de faucher les foins ou de seiller les céréales était arrivée. On désignait deux experts chargés de reconnaître l'état de maturité des récoltes. Ils fai­saient un rapport et le maire fixait le jour où tout le monde devait commen­cer les travaux. Il était défendu, sous peine d'amende et à moins d'une autorisation spéciale, de travailler dans la prairie ou dans les champs avant la date fixée.

Les instruments de culture étaient fort rustiques autrefois ; on se servait de charrues en bois qui grattaient à peine le sol ; malgré cela, Euville a tou­jours été favorisé et ses habitants étaient dans l'aisance pendant que leurs voisins vivaient chétivement. Cela tient au peu d'étendue de son territoire, au labeur acharné des gens et à l'élevage des bes­tiaux, ce qui a toujours permis de fumer convenablement les terres.

On cultivait le blé, le seigle et surtout le conseigle ou méteil, l'avoine et un peu d'orge.

La pomme de terre n'a fait son appa­rition que vers 1760 et la betterave four­ragère de 1830 à 1840.

Autour du village se trouvaient les chènevières, mais depuis quarante ans au moins, la culture du chanvre est totalement abandonnée : la mise de fonds du terrain, les frais de culture, d'engrais, de manutention et de tissage dépassent de beaucoup le prix des belles et bonnes toiles que fournit le commerce. La culture des plantes oléagineuses : colza d'hiver, navette, cameline, est abandonnée également pour la même raison.

Le territoire d'Euville a une superficie totale de 632 hectares dont 259 de bois. Les terres labourables occupent 229 hectares, les prairies 123, les herbages 20.

Le sol est en général d'une fertilité moyenne ; certains coteaux même seraient arides si le labeur opiniâtre des cultivateurs complété par une fumure abondante n'avaient raison de l'infécon­dité de ces terrains.

Euville possédait autrefois des vignes à Rouat : le long du chemin qui conduit à Vertuzey, au bois chiot : coteau qui regarde le chemin qui conduit à Jevaux, et probablement aussi à l'endroit appelé Vignes d'Athènes. Le vin était bon, un peu aigrelet peut-être dans les années médiocres, mais nos pères avaient des estomacs robustes et avec « ce vin de cru, ils étaient gais et forts ».

Les dernières vignes ont été arrachées il y a quelques années.

L'assolement est toujours triennal ; quoique défectueux, il sera encore long­temps pratiqué. Cela tient à plusieurs causes : le morcellement de la propriété et par conséquent l'enclave d'un trop grand nombre de parcelles, le défaut d'abornement et le peu de chemins de défruitement. Dans les terrains en jachère, on cultive la pomme de terre, la betterave fourragère, les prairies artificielles.

Voici quelle est la répartition actuelle des cultures : blé 65 hectares, seigle 7 hect., orge 39 hect., avoine 37 hect., pommes de terre 39 hect., betteraves 13 hect., luzerne, sainfoin, trèfle, 30 hect. Les rendements sont excéllents, et de beaucoup supérieurs à la moyenne : blé 19 quintaux à l'hectare, seigle 18, orge 18, avoine 16.5.

La principale ressource du cultivateur réside dans la vente du laitage et des produits d'élevage. Le litre de lait se vend couramment 0 fr. 20 au détail et 0 fr. 15 en gros. Le prix du beurre est rarement inférieur à 3 fr. le kilog. ; les œufs valent de 1 fr. 20 à 1 fr. 80 la dou­zaine. Euville alimente deux centres importants de consommation : Commercy et les Carrières.

Lieux dits

La désignation des champs et des prés se fait au moyen de noms dont l'étymologie est difficile à donner. Quelques-uns pourtant s'expliquent : Fraussard se compose de froid et de sari qui vient du latin sascum, pierres. Les Cerisiers, l'Aunel, le pommier de bois, tirent leur nom des arbres qui croissaient en ces lieux, Girauchamp est une corruption de Gérardchamp ou champ de Gérard. Der­rière l'Etang est ainsi désigné parce qu'autrefois il existait au bout de la rue de France une mare de 100 pieds de long sur 30 de large qui fut comblée vers1780.

Le Tomboy est un ancien lieu de sépul­ture. On y a retrouvé des squelettes enfermés dans des tombeaux de pierre, des vases antiques, un collier d'ambre à gros grains, un ceinturon et une scramasasce : sabre large et court de l'époque franque ; la plupart de ces reliques sont exposées au musée de Bar-le-Duc. La Nonnerie presque entièrement dis­parue dans l'exploitation des carrières était, dit la légende, occupée par un couvent de femmes et une ferme. Il est fait mention de cette dernière dans le registre de 1639. Les deux frères Lyauville qui l'exploitaient à cette époque sollicitent la remise de leur fermage parce qu'ils ont été ruinés par les Cra­vates pendant la guerre. Le couvent et ses dépendances ont dû disparaître à cette époque en même temps que le hameau de Maceronville situé entre Vignot et Euville.

Le village

II est bien difficile de nous représenter ce qu'était le village d'Euville dans les temps anciens. Les maisons d'aujour­d'hui, qui n'ont cependant rien de con­fortable, sont des palais auprès de celles qui les ont précédées.

Les rues du village étaient fort mal entretenues ; on y enfonçait jusqu'au moyeu à la moindre goutte de pluie. Les toits des maisons étaient dépourvus de chenaux et de tuyaux de descente ; l'eau s'égouttait du bord et restait en flaques pendant de longs jours. Les fumiers s'étalaient devant les demeures, empié­tant sur la voie publique fort restreinte à certains endroits. Les préceptes les plus élémentaires de l'hygiène étaient méconnus : dans le registre de 1766, nous voyons que le « lieutenant de maire en la police d'Euville » a condamné à cinq francs d'amende le sieur Pierre Martin coupable d'avoir fait « rifler ou écorcher une jument dont il a laissé la charogne sur son fumier. »

A cette époque, les logements se com­posaient généralement de trois cham­bres placées l'une au bout de l'autre ; la cuisine située au milieu était vaguement éclairée par une immense cheminée où l'on aurait facilement pu faire rôtir un bœuf à la broche. On marchait sur une aire de terre battue appelée territ.

La plupart des maisons actuelles ont été rebâties au cours du 18e siècle et la disposition intérieure a été changée.

Les antiques demeures qui ont persisté jusqu'à nos jours sont peu nom­breuses, on en compte à peine quelques­ unes, car depuis une quarantaines d'années environ, on a remplacé les grandes cheminées par des flamandes qui utilisent leur ancien caisson et prennent jour sur le toit.

Aujourd'hui, les cuisines sont pavées avec de larges dalles provenant des Carrières et les chambres planchées de chêne.

 

Ameublement. — Les meubles de nos arrières-grands-pères étaient fort rusti­ques.

On s'asseyait en rond devant le feu sur des escabeaux à trois pieds, taillés à la hache ; on mangeait sur un dressoir de noyer ou de hêtre. Dans un coin de la cuisine se trouvait la maie où la mé­nagère pétrissait ; à côté, était la crédence où l'on serrait les écuelles de terre vernissée, les gobelets et les couverts de fer. La faïence peinte à gros ramages qu'on ne sortait que dans les grandes occasions était rangée dans le buffet dela « chambre derrière » : grand bahut a deux et même à trois corps, en chêne massif, aux ferments de cuivre, qui voi­sinait avec la longue horloge au tic tac monotone.

Lorsqu'arrivait le soir, on allumait la lampe à crémaillère ; la lumière en était si pâle que les hommes y voyaient à peine pour tresser leurs paniers ou fabri­quer leurs balais de brindilles.

La vieille lampe à quatre becs a dis­paru, entraînant avec elle la chandelle mancheuse..

Le pétrole, lui-même, a été détrôné par l'ampoule électrique qui, de ses rayons éclatants, inonde de lumière les intérieurs même les plus modestes.

 

Vêtement — A Euville, comme dans toute la Lorraine, le vêtement ne pré­sentait rien de particulier ni surtout d'original.

Dans les temps très anciens, bien longtemps avant la Révolution, les hommes étaient vêtus d'une souquenille de toile ou de laine selon la saison et d'une sorte de pantalon appelé « chaus­ses » qu'on fixait à la cheville au moyen de cordons. Ils allaient pieds nus dans des sabots de hêtre garnis à l'intérieur de paille ou de foin. Le bonnet de laine ou de coton était leur coiffure courante.

Les jours de fête ou de cérémonies, on sortait le bon habit de droguet qu'un artiste du village avait taillé à grands coups de ciseaux comme il l'eût fait avec une hache et la culotte de même étoffe serrée aux genoux, les bas de laine et les souliers ronds à boucles d'acier. Le bonnet était remplacé par le tricorne. Les élégants portaient la culotte de nankin et le gilet à goussets.

Plus tard, les hommes portèrent la blouse qu'en patois on appelle rouyire (ce mot est une corruption de roulière ou vêtement du roulier). Elle était en laine grise pour l'hiver, en toile ou en prunelle pour l'été. Aujourd'hui, elle a presque complètement disparu, faisant place à la vareuse de molleton.

Pour vaquer à leurs travaux, les femmes portaient la cotte ou jupon très court et le casaquin ou caraco. Comme leurs maris, elles étaient chaussées  de sabots rustiques et ne portaient de bas que le dimanche. Ce jour là elles étaient coiffées du bonnet de lingerie à bords tuyautés.

Les bijoux étaient fort rares ; cepen­dant quelques anciennes familles possè­dent encore de jolies croix pectorales en or, qu'on portait suspendues au cou au moyen d'une longue chaînette de même métal. Les robes de soie et les habits de cérémonie passaient en héri­tage des parents aux enfants et même aux petits-enfants.

Le grand luxe de tous les ménages aisétait le linge. Chacun récoltait du chanvre, et durant tout l'hiver, femmes et filles étaient occupées à filer. Chaque famille possédait plusieurs douzaines de chemises, des centaines de torchons et des draps en grande quantité. On ne fai­sait la lessive qu'une fois ou deux par an ; mais alors, on en parlait quinze jours à l'avance.

Les rouets ont cessé de tourner depuis longtemps, ils ont disparu entraînant avec eux les vieux métiers et l'antique navette du tisserand. Les armoires sont moins bien garnies qu'autrefois ; le coton a détrôné le chanvre et le lin, et les bonnets de lingerie ne coiffent plus que quelques têtes vénérables. La jeunesse s'habille « comme à la ville » avec plus ou moins de goût ; mais en général elle n'a pas mauvaise tournure.

Si la robe ne sort pas toujours des ateliers de la bonne faiseuse, le teint frais et les yeux rieurs de nos petites paysannes empêchent qu'on regarde la malfaçon.

 

Le village actuel. —  Euville vient de traverser une longue période de prospé­rité, voire même de richesse. Il est connu de tous comme le village le plus fortuné de France. A l'heure où nous écrivons ces lignes, cette fortune dimi­nue, car les carrières commencent à s'épuiser ; et dans les environs, on prétend qu'Euville sera bientôt une pauvre commune. C'est peut-être vrai en ce sens que quand on a été habitué au luxe et au confort, on se sent bien malheureux lorsqu'il s'agit de réduire ses dépenses. Il y a des palais à entrete­nir, des services créés qu'on verra dis­paraître avec regret. L'eau et l'électri­cité se concèdent actuellement dans des conditions très avantageuses, tout laisse à présumer qu'il faudra tôt ou tard appliquer des tarifs beaucoup plus éle­vés. La commune assure gratuitement aux habitants, sans distinction de con­dition, les soins médicaux et fournit les produits pharmaceutiques ; non seule­ment on en use, mais on en abuse et l'on trouvera pénible d'aller chez le médecin et chez le pharmacien avec son argent. Les portions d'affouage sont délivrées gratuitement ; s'il faut un jour payer une consignation, beaucoup récri­mineront. Enfin la commune rachète les prestations — ce qui est peut-être une injustice, attendu que certains habitants bénéficient de plusieurs centaines de francs, tandis que d'autres ne gagnent de ce fait que six francs — mais le jour où il faudra acquitter le montant de cette contribution, on trouvera cela drôle...

D'autres munificences disparaîtront encore : les trois francs que touchent les électeurs le jour du 14 juillet ; les vingt francs qu'accorde la commune aux enfants qui font leur première commu­nion ; le carrousel gratuit des fêtes patronale et nationale ; les largesses du bureau de bienfaisance, etc., etc.

La fin des carrières entraînera une crise économique : les produits de l'agri­culture se vendront moins cher. Les loyers, qui sont hors de prix, et la valeur des immeubles baisseront fatalement.

Alors Euville rentrera dans le com­mun et ne sera plus la cité extraordi­naire, le pays de Cocagne qu'il est aujourd'hui.

Il vivra de son passé et n'en sera que plus à plaindre. Il a malgré tout de nombreuses années encore à passer dans une large aisance que beaucoup de communes considéreraient comme une richesse.

Il existe ici, depuis plus de trente ans, une fanfare municipale qui ne se pro­duit malheureusement pas assez sou­vent. Les éléments qui la constituent ne laissent rien à désirer et la direction est excellente. Les principaux chefs qui ont tour à tour dirigé cette phalange d'artis­tes sont MM. Delcasso, Simon et Mesner.

Nous possédons également une com­pagnie de sapeurs-pompiers très bien organisée et pourvue d'un matériel d'in­cendie des plus moderne.

Fondée en 1872, elle fut tour à tour commandée par MM. Pargny, Jules Deville, Joseph Ligier, Charles Billon et Auguste Deville, lieutenant actuel.

II est à regretter que les éléments qui composent la subdivision soient peu stables et manquent parfois de cette discipline qui fait « la force principale des armées »,

 

Fontaines. — Autrefois, il existait des puits publics ; trop souvent ils étaient marécageux et les infiltrations prove­nant des fumiers contaminaient l'eau qui devenait alors nuisible aux habitants. De plus, ces puits étaient insuffisants en cas d'incendie ; c'est pourquoi le conseil municipal demanda, en 1822, l'autorisa­tion de dépenser 5.000 fr. pour amener les eaux de la fontaine des Doigts.

La source de Gonfontaine alimente non seulement le hameau des Carrières mais encore deux fontaines du village.

Depuis 1898, la commune a établi des concessions particulières ; moyennant la faible redevance de trois francs par an, chaque ménage a sur son évier un robi­net qui lui fournit toute l'eau néces­saire. Des bornes-fontaines ont été éta­blies aux Carrières en 1908 ; l'école qui est le seul bâtiment communal de cette agglomération n'est alimentée que par un puits dont l'eau n'est pas potable à cause de sa proximité avec les cabinets d'aisance. Nous espérons qu'un jour viendra où l'on y installera une fontaine et une bouche à incendie.

Les habitants

La population d'Euville était en 1666 de 69 ménages, 7 veuves, 1 fille ; en 1795 de 479 habitants ; en 1856 de 567 ; en 1874 il n'y en a plus que 463 ; en 1889 on en compte 814 et en 1906 il y en a 1331 dont près de trois cents étrangers : italiens en grande partie.

Les familles les plus anciennes du pays sont les familles Ligier, Martin, Liouville, Pargny, Billon, Deville et Maillard ; viennent ensuite les familles Bourcier, Trusson, Prévôt, Rénel.

Beaucoup d'anciens noms ne sont plus représentés à Euville, par exemple : Vauthier, Mistoudin, Moutillard, Pillotelle, etc.

Mœurs - coutumes - langage

Euville a perdu totalement de son originalité depuis l'apparition, dans le pays, d'un grand nombre d'ouvriers venant travailler aux Carrières. Les indigènes sont noyés dans ce flux de nouveaux arrivés quoique cependant ils gardent une certaine réserve à leur égard.

M. Dumont dit que les gens d'Euville sont des «philosophes», il a peut-être raison. Ils ont conservé dans leur allure et leur façon de vivre une certaine indé­pendance et une fierté qu'on ne rencon­tre pas ailleurs : on sent qu'Euville est une ancienne souveraineté autonome. Dans tous les cas, on peut dire des « dindolets » — on les appelle ainsi à Commercy et à Vignot — qu'ils sont travailleurs, économes, honnêtes et polis ; ils aiment à s'instruire et sont très attachés au sol natal ; très peu l'ont quitté pour tenter la fortune ailleurs. C'est une preuve de grande modestie et de modération dans les désirs ; par con­séquent c'est de la philosophie.

Le petit défaut qu'on peut leur impu­ter, c'est la moquerie. Le passant qui traverse le village par une belle journée de printemps ou d'été, s'aperçoit facilement qu'il devient le sujet de la conversation des hôtes du couareuil, qui travaillent et babillent à l'ombre ou au soleil, suivant les saisons, sur le banc de pierre placé devant la maison.

Les mœurs d'autrefois étaient douces et patriarcales ; on ne connaissait ni le tien ni le mien. Pendant les longues soi­rées d'hiver, un peu après la Toussaint, les femmes et les filles d'une rue se don­naient rendez-vous dans un local de leur choix pour y passer en commun la veillée. Chaque veilleuse fournissait, à tour de rôle, l'huile et le bois ; chacune apportait sa chaise. C'est là que se groupaient, autour du mougeot [1] , douze à quinze commères apportant rouets ou tricots. La réunion déjà nombreuse s'augmente de quelque galant qui vient faire la cour à sa belle. Plus il l'aime, plus il la taquine, lui faisant lâcher ses mailles si elle tricote, cassant le fil de sa quenouille ; souvent la belle se fâche pour rire et lui lance des soufflets aux applaudissements de la galerie ; en échange elle reçoit des baisers sonores.

Puis viennent les histoires scandaleu­ses, les cancans, auxquels succèdent les contes de fées, l'histoire de Geneviève de Brabant, Pyranne et Thisbé, Damont et Henriette, puis des flaves, sortes de fables en patois, le Rouge couchot, par exemple.

Neuf heures viennent de sonner, les rouets s'arrêtent de tourner, les tricots tombent sur les genoux : il est temps d'aller dâyer. La dâyeuse en titre du veilloir — et ne l'est pas qui veut — sort avec quelques compagnes et va provo­quer à la porte un autre veilloir en con­trefaisant sa voix. «V'lève dâyer? (Vou­lez-vous dâyer). — Oui. — De quoi? — D'amour.

Alors s'engage en patois un long dia­logue à peu près rimé dans le genre de celui-ci :

— Si ton amant était sur un poirier, comment ferais-tu pour lui porter a boire dans un panier ?

— J'attendrais l'heure et la saison et je lui porterais un glaçon.

— Si tu étais d'un côté de la rivière et lui de l'autre, comment ferais-tu pour te laver les mains dans le même bassin et les essuyer avec le même essuie-mains ?

— Je prendrais la rivière pour bassin et le soleil pour essuie-mains.

— Si ton amant était dans un puits comment ferais-tu pour l'en tirer ?

— Un soupir de ma bouche, un regard de mes yeux tireraient mon amant de ce lieu.

Et ainsi de suite pendant dix minutes. Lorsque le rouleau est épuisé, la mali­gnité a souvent son tour.

Oyez plutôt :

                                                                                                 J've vods l'agasse

                                                                                                 Que saute trô sauts sû la glace ;

                                                                                                 Elle dit dos s'langache

                                                                                                 Qu'vavé pêdu.....

          RÉPONSE:

                                                                                                 J've vods le l'courbê blanc

                                                                                                 Que dit en s'o-voulant

                                                                                                 Que ve ne l'avême pêdu sans amant.

 

On en arrive quelquefois aux person­nalités blessantes, voire même aux grossièretés ; et la farce se termine par une douche glacée, lancée de la gerbière sur la tête de la dayeuse.

On rentre au veilloir en riant et l'on reprend la besogne interrompue. A dix heures, on fait la prière en commun et chacun rentre chez soi. Les veilloirs s'ouvraient chaque soir, le dimanche excepté, à la St-Martin (11 novembre) et se terminaient à la Ste-Agathe (5 février).

Tous les soirs, pendant le mois de mai, filles et garçons parcouraient le village en faisant des rondes et des farandoles accompagnées de chants. Le dimanche, ils se rendaient à l'arbre de la Cliquette, hêtre gigantesque et au moins huit fois centenaire qui se trouve dans le second triage du bois Chiot, à droite en allant à Jévaux. Là encore on chantait el l'on riait. Que de mariages se sont ébauchés à l'ombre tutélaire de l'arbre de la Cliquette !

A l'occasion de la Toussaint, de Noël, de Pâques, les familles et les amis se réunissaient volontiers. C'étaient autant d'occasions de modestes agapes où pré­sidait la bonne humeur ; le vin pétillant et un peu aigrelet de la côte de Rouat déliait les langues et chacun apportant son tribut de gaieté, on passait des moments délicieux. On se séparait toujours content de soi et des autres. Un vent d'égoïsme a passé qui a soufflé sur ces mœurs patriarcales, et les liens de famille se sont relâchés.

Au Mardi gras, les garçons se dégui­saient et parcouraient le village, entrant dans toutes les maisons. Ils chantaient d'un air de complainte : « Mardi gras n'a pas soupé, voulez-vous lui en donné, coupez haut, coupez bas, si vous n'aviez pas de couteau, donnez tout le mor­ceau. » Ici, l'on donnait une tranche de jambon, là, du lard ou des œufs. La bande joyeuse se réunissait dans un cabaret et festoyait copieusement pour se prémunir probablement contre un carême sévère que nous ne connaissons plus.

Une ancienne coutume persiste encore aujourd'hui, c'est celle des « mais ». Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, les garçons vont couper dans les taillis des baliveaux feuillus. Ils en plantent un dans la « chanlate » de l'heureux toit qui abrite une jeune fille. Au petit jour, tout rentre dans l'ordre. La fille qui n'a pas de mai est humiliée ; c'est le signe certain d'une conduite déréglée ou d'un âge par trop mûr.

Aujourd'hui, les farces ont complète­ment disparu ; nos contemporains sont beaucoup moins patients que nos ancê­tres. Il y a quelque cinquante ans, on brisait encore la vieille année. Pour ce faire, on recueillait une ample provision de verres cassés, de pots fêlés, de fer­raille qu'on jetait à la nuit tombante dans les corridors de quelques person­nes connues pour leur humeur grin­cheuse.

Lorsqu'une ménagère faisait des pru­neaux à l'automne, des lurons s'intro­duisaient parfois dans la chambre à four et dérobaient la claie et son contenu ; on procédait au partage dans la rue et personne ne connaissait les coupables. Sur le moment, la bonne femme à laquelle on avait fait cette farce entrait dans une violente colère, mais le lende­main elle n'y pensait plus et finissait par en rire. Si l'on en faisait la centième partie aujourd'hui, la gendarmerie serait bientôt sur pied.

La recherche de la paternité existait à Euville avant la Révolution. En com­pulsant les vieux registres de la commaunauté, nous avons trouvé un certain nombre d'actes signés par le maire, le greffier et la déclarante, dans lesquels cette dernière avouait sa faute en don­nant force détails sur l'accident qui lui était survenu.

Elle désignait le coupable « sous la foy du serment » et elle jurait « de se gou­verner sagement et de veiller à la con­servation de son fruict. » En foi de quoi, on « lui donnait et octroyait acte pour luy servir comme il appartiendra. »

 

Langage. — II y a un peu plus de cin­quante ans, le langage courant d'Euville était le patois que les terminaisons en oille et en to contribuent à rendre gros­sier. Il a cependant son charme, car il contient un certain nombre de mots en vieux français et d'expressions qui ne semblent dériver d'aucune langue. On dit faire cance (faire semblant) lo wate pour il est sale ; un pochat est une flaque d'eau, une aglaw est une grosse bûche ; gâce veut dire fille, le ramon est un balai, les andilles, le veyen sont les che­nets et la pelle à feu.

D'autres mots du patois d'Euville sont des mots français estropiés et un peu transformés ; on dit armouère pour armoire, tâle pour table, choche pour sec, ch'vau pour cheval, etc.

Les noms de professions ont eux-mêmes subi des mutilations qui les ren­dent presque méconnaissables.

On dit malchau pour maréchal, carriaw pour carrier, maïdcin pour méde­cin, rabouraw pour laboureur.

Les outils couramment employés sont : la feugne (fourche), la palle (pelle), le quâ (houe), la rebinotte (serfavette), le louibriquin (vilbrequin), la lousse (tariè­re), le couoille et la refilotte (pierre à repasser la faux avec le récipient qui contient l'eau).

Les plantes et les arbustes ont des noms tout à fait pittoresques : le liseron s'appelle ouïue, la gesse tubéreuse macuson, le mélampyre chincaw (ou queue de chien), la mercuriale fouérawce, le salsifi sauvage bouquin. En automne les prés sont émaillés de vachottse (colchiques).

Dans les bois on rencontre le frézillon (troène), la mansolle (manciène), le barbazin (épine vinette), la sauce, (saule) etc.

Parmi les animaux   sauvages, nous avons le law  (loup), le v'nâ  (renard), le wichaw  (putois), la bâcoule   (belette), cette dernière partage ce vocable avec la personne hypocrite qui essaye de per­cer les secrets. On dit d'elle: « La..... ço  ine bâcoule ».

Les oiseaux eux non plus ne sont pas épargnés : la pie s'appelle épèque ou agace, la chouette chaouotte, le roitelet mussot.

 Lorsqu'on va aux Vignes d'Athènes, il faut faire attention aux vipères ; mais on y trouve aussi des enwaw (orvets).

 

Sobriquets et surnoms. — Les sobriquets ont toujours été en honneur à Euville ; cependant aucun d'eux n'est blessant. Ceux qui en sont affublés les supportent avec résignation ; on n'est du reste pas philosophe pour rien. Les surnoms, assez nombreux, ont trait à la taille : la grand'Mimie ; d'autres à la profession : la Rose Charron, Catherine Mâte.

Une coutume assez bizarre consistait à dénaturer les noms propres de manière à les rendre méconnaissables : Marie devenait Mimie. Les Anne se nommaient Nanette. François devenait Fanfan, Charles, Lolo, etc.

Il arrivait souvent que pour distin­guer les individus portant le même nom de famille, on les désignait par le nom de leur mère.

 

[1] Le mougeot se composait d'une pièce de bois longue d'un mètre environ, plantée verticalement dans une pierre qui la lestait sur le sol. A la par­tie supérieure, on plaçait un vase contenant l'huile et la mèche pour l'éclairage.

Petit entête
Culte

L'Eglise d'Euville fut desservie jus­qu'à la Révolution, par un religieux de l'abbaye de Rangéval. Le dernier titu­laire fut le prieur François Mercier dont nous avons parlé dans la partie générale. Depuis 1792 jusqu'à 1801, il n'y eut pas de curé à Euville ; après la signature du Concordat, un ancien prêtre réfractaire, Nicolas Moutillard, revint dans son pays natal et y exerça les fonctions de curé jusqu'en 1811 avec une interruption de quelques mois pendant lesquels il fut remplacé par Christophe Richard, de Commercy, lequel mourut victime de son dévouement en soignant des soldats atteints du typhus pendant l'invasion de 1814. Vinrent ensuite MM. Pauly et Grandpierre. Ce dernier exerça son ministère pendant 44 ans, c'était un vénérable prêtre doublé d'un savant mathématicien. Il eut pour successeurs M. Lamour, qui resta peu de temps à Euville et M. Micault, curé actuel.

Les gens du pays sont restés fidèles aux pratiques religieuses ; les « avenus » le sont moins et beaucoup d'entre eux sont des fervents de la Libre-Pensée.  La tolérance réciproque fait que tout le monde vit sans chicane.

 

Ancienne église. — L'ancienne église remontait à peu près au XIIe siècle. Elle était enclavée dans l'enceinte du fort et entourée par le cimetière qui fai­sait terre-plein.

 

Eglise actuelle. — La première pierre en fut posée le 25 novembre 1890 et la consécration eut lieu le 30 octobre 1892. La nouvelle église occupe le terrain de l'ancienne ; les plans en ont été dressés par MM. Médard, de Verdun, et Verneau, de Commercy.

Elle est conçue en style roman moder­nisé. Les trois portes de la façade sont ornées de colonnes et surmontées de gâbles qui augmentent leur importance. Chacun des deux clochers est accosté d'une tourelle avec escalier, celle de droite pour le service des cloches, celle de gauche pour celui des orgues. Au-dessus des portes se trouvent les bustes du Christ et des apôtres St-Pierre et St-Paul patrons de la paroisse ; au-dessus une jolie galerie découpée à jour puis trois rosaces.

L'intérieur est très harmonieux. Ce sont d'abord quatre travées aux piliers élégants, surmontés de chapitaux pro­fondément fouillés qui composent une nef de douze mètres de hauteur. Le transept est largement étendu, il a toute la hauteur de la nef ainsi que le chœur élevé de trois marches. Sur les côtés de ce dernier se trouvent deux chapelles placées dans le prolongement des bas-côtés.

A la croisée du transept sont sculptées les armes pontificales ; dans le bras de droite celles de M. Gonindard, dans celui de gauche celles de M. Pagis, tous deux évêques de Verdun ; le premier avait posé la première pierre de l'église, le second l'a consacrée.

Le dallage du chœur, du transept et des allées est en céramiqne de Maubeuge avec bordures en pierre de Comblanchien. La nef est garnie de 38 bancs sculptés en plein chêne; le confessionnal est du plus pur style roman ainsi que les trois autels et la chaire.

Les cinq fenêtres du chœur sont divi­sées chacune en trois parties par deux meneaux verticaux ; elles contiennent les images du Sacré-Cœur, de la Vierge, de St-Joseph, des personnages de l'an­cien testament, des apôtres, des patrons, des membres du conseil de fabrique et du conseil municipal de l'époque. Cha­que bas-côté renferme, lui aussi, une galerie complète de personnages tous provenant de donations particulières. Le chemin de la Croix est un don de la famille J.-B Bourcier [1] .

Il est inutile d'ajouter que les orne­ments sont d'une richesse incroyable quoique la fabrique n'ait jamais été for­tunée, mais la commune s'est toujours montrée très large vis-à-vis de l'Eglise.

Les jours de fête, on lance à toutes volées les cinq cloches qui égrènent sur la campagne silencieuse les sons harmo­nieux de leur imposant carillon.

 

[1]  D'après la Semaine religieuse du diocèse de Verdun

Hôtel de ville

Avant la Révolu­tion, la communauté se réunissait, comme nous l'avons dit plus haut, sous les arbres qui ombrageaient le portail de l'Eglise ou au greffe. Ce local était sans doute le bureau du secrétaire de la municipalité. Le 16 pluviôse de l'an XI, le Conseil municipal décide la cons­truction d'une maison commune et de deux écoles qui existent encore aujour­d'hui. Les bâtiments ont été restaurés en 1836. Actuellement ils sont désaffec­tés ; la recette auxiliaire des postes, le bureau télégraphique et la cabine téléphonique occupent l'ancienne école des filles. Le logement de l'instituteur sert aujourd'hui de salle de consultations et de pharmacie ; il est occupé par la sœur infirmière ; quant à la classe elle est uti­lisée comme débarras.

L'Hôtel-de-Ville actuel est un chef-d'œuvre de l'art nouveau. Les plans en ont été conçus par M. Gutton, de Nancy, et les travaux exécutés par M. Oudin. Entièrement bâti en pierres de taille des carrières communales, il se dresse magnifiquement au milieu du vil­lage et son aspect en impose.

L'architecte a su allier l'originalité d'un style nouveau à la majesté d'un édifice qui doit marquer une époque dans l'art de construire. Toutes les lignes sont d'une pureté remarquable et la symétrie est respectée de la façon la plus stricte ; on ne peut en dire autant de toutes les constructions de ce genre, car beaucoup d'entre elles donnent l'impression que l'art nouveau est un art décadent plutôt que naissant.

L'édifice comprend trois parties pla­cées sur le même plan d'élévation : deux ailes en encorbellement sur des passages latéraux donnant accès aux écoles, et une partie principale qui comprend la mairie et ses services.

La façade est remarquable par un vitrage formé de sept baies larges et hautes séparées par des meneaux très délicats qui tombent d'une petite voûte en arc surbaissé et s'étalent gracieuse­ment à la partie inférieure.

En dessous de la corniche court une guirlande de feuilles de chêne et d'oli­vier, symbole de la force par la paix ; puis se détachent, au-dessus du vitrage, sept médaillons en forme d'écus sur lesquels sont gravés les noms des sept vertus sociales : ordre, travail, liberté, égalité, fraternité, devoir, justice.

Les deux ailes contiennent les loge­ments de l'institutrice à gauche et de l'instituteur à droite ; tout le confort et le luxe des hôtels modernes s'y rencon­trent : eau, électricité partout, décors, etc., etc.

Le rez-de-chaussée de la partie prin­cipale est affecté aux services de la mai­rie : greffe, cabinet du maire, apparte­ments du secrétaire.

Le premier étage est occupé par le salon d'honneur, la salle du Conseil Municipal, et la chambre dite « des Commissions ».

Le salon prend jour sur la place par le vitrage que nous avons décrit tout à l'heure ; la lumière y reste tamisée par les vitraux peints des impostes et les rideaux crème qui garnissent les fenê­tres. Le ton général de la peinture est le gris clair qui se dégrade jusqu'au blanc mat. La salle mesure 17 mètres de longueur sur 7 de largeur. Elle est lam­brissée de panneaux de chêne dont le motif principal est un bouquet ou même une seule fleur de chrysanthème. Le plafond ornementé est l'œuvre de l'ar­tiste lorrain bien connu, M. Vallin, de Nancy, de même que les boiseries. Nous retrouvons ici les feuilles de chêne et d'olivier de la façade, puis quatre personnages allégoriques symbolisant les sciences et l'art, les faisceaux des lic­teurs et le coq gaulois. De chacun des coins partent des gerbes de chrysan­thèmes dont le cœur est fait d'une ampoule électrique en verre dépoli. Quatre vingt lampes artistiquement combinées avec les décors du plafond et des encoignures projetteront leurs rayons éblouissants sur toutes ces mer­veilles de l'art nouveau..

Le plancher est un chef-d'œuvre de menuiserie : c'est un parquet de chêne à bâtons rompus qu'en terme de métier on appelle point de Hongrie ; il est entouré d'une bordure en acajou.

Au fond de la salle, une cheminée monumentale en pierre d'Euville s'élance majestueusement jusqu'au plafond ; elle est conçue dans le même style que l'en­semble de l'édifice. Le foyer est en vieux briquetage et le tablier en céramique du XVIe siècle. Le manteau est surmonté d'un socle sur lequel se détachent enla­cées les initiales R. F., et la belle statue en bronze de la République qu'on ne manquera pas d'y poser sous peu aura pour fond un lever de soleil représenté par une mosaïque aux tons chatoyants.

Un vaste panneau, vide jusqu'alors, fait face à la cheminée, un jour viendra peut-être où l'on y admirera une fresque de Friant ; à moins que l'Etat ne fasse don d'une toile comme il s'en trouve à Commercy dans la salle des mariages.

N'oublions pas d'attirer l'attention du lecteur sur l'escalier de pierre qui donne accès au premier étage et dont la rampe en fer forgé rappelle le burin de Jean Lamour.

On sort de là tout bonnement émer­veillé.

Les esprits pratiques déplorent un tel luxe et disent que l'argent englouti dans la construction de l'église et de l'Hôtel-de-Ville aurait pu être employé plus uti­lement. Nous n'avons pas à discuter cette raison, contentons-nous de dire que chaque fois qu'on fait du beau, on fait presque du bien.

Améliorations morales

Assistance, Mutualité. —  II existe depuis longtemps un Bureau de bienfai­sance largement subventionné par la commune. Les vieillards, les infirmes et les familles nombreuses reçoivent toutes les semaines des secours en argent qui leur permettent de ne pas tomber dans la misère.

Un médecin rétribué par la commune donne ses soins aux habitants qui ont également droit aux médicaments gra­tuits.

C'est M. Charuel, actuellement méde­cin à Commercy, qui organisa le premier ce service ;  au bout de quelques mois, il se démit de ses fonctions et eut pour successeur M. Barrois.

Une Société de Secours mutuels a été fondée il y a deux ans environ ; elle compte près de deux cents membres. Grâce à la générosité du Conseil muni­cipal et aux libéralités d'un grand nom­bre de membres honoraires, elle opère des merveilles, puisqu'elle assure à ses adhérents des avantages supérieurs à tous ceux qu'on peut faire dans les grou­pements de ce genre.

 

Ici s'arrête l'histoire d'Euville... Nous nous sommes attaché à raconter le plus fidèlement possible les événements qui se sont déroulés dans notre humble vil­lage. Nous avons cherché avant tout à être vrai, c'est pourquoi nous avons laissé de côté certains faits dont l'au­thenticité nous paraissait douteuse. Nous estimons que rien ne déforme la vérité historique, comme la tradition qui n'est le plus souvent qu'une légende amplifiée.

 

Pour mener à bien ce travail, il nous a fallut compulser quelques ouvrages : l'Histoire de la Lorraine, par Dom Calmet ; les Ruines de la Meuse et les Fiefs de Commercy, par Dumont ; la Notice sur le Vieil Euville, de l'abbé Grandpierre. Mais nous avons puisé la plus grande partie de nos renseignements dans les archives communales, que M. le Maire a bien voulu mettre à notre dis­position.

En ce qui concerne la période contem­poraine, nous avons eu recours aux lumières de MM. César Deville, Eugène Gobert, Charles Vannière et Simon Martin, à qui nous adressons tous nos remerciements.

 

Pour que notre Histoire fût complète, il nqsous resterait à donner la biographie des hommes illustres dont s'honore notre commune ; mais Euville n'a donné le jour à personne qui mérite ce titre pompeux.

Les générations se sont succédées et aucune d'elles n'a produit de génies transcendants. Ceux qui nous précédè­rent dans la vie apportèrent leur pierre à l'édifice social ; ils ont ainsi contribué au progrès humain d'une façon obscure peut-être, mais cependant méritoire. Ils ont fait leur possible pour nous rendre la vie meilleure ; à nous de les imi­ter !

Tout n'est pas toujours bien dans le meilleur des mondes. Au-dessus de la Justice, de la Bonté et du Bien, il y a encore le Mieux.

(FIN)        Michel Bastien              

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