Euville hier et aujourd'hui
Des liégeois en visite aux Carrières
Au printemps 2019 Christian Servais, de Liège, me contactait au sujet de l'orchis Liparis que l'on peut observer dans les marais alcalins de Pagny. Il souhaitait venir avec quelques amis passionnés d'orchidées. Rendez-vous fut pris pour le 23 juin. Malheureusement à cette date je suis allé explorer les marais pour constater qu'il n'y avait pas de Liparis cette année.
Nos Liégeois ont quand-même fait le déplacement et je leur ai proposé une visite sur la pelouse calcaire de Troussey, qui jouxte Pagny, ainsi que pour l'après-midi un tour dans les anciennes Carrières d'Euville.
Il s'est avéré que j'avais affaire à de vrais connaisseurs et que Christian Servais était lui-même un botaniste averti pour lequel les plantes n'avaient presque plus de secrets, il les nommait toujours par leur nom latin.
Du coup je me suis senti tout petit mais la passion et la connaissance du terrain ont comblé la différence.
Un compte-rendu de la sortie a été rédigé par le responsable pour être publié dans le bulletin, je vous le publie intégralement ci-après.
La découverte des orchidées européennes à Commercy (Lorraine française)
Décidément, les orchidées d’Europe nous réservent toujours des surprises. Ainsi, cette sortie était censée nous faire découvrir une des orchidées les plus rares d’Europe, le Liparis de Loesel (Liparis loeselii). Las, la sécheresse de l’année dernière a visiblement laissé des traces dans le marais alcalin de Pagny-sur-Meuse, car très peu d’orchidées y étaient présentes cette année. Tout au plus, si on peut dire, quelques Epipactis palustris (qui auraient déjà valu le détour cela dit), mais peu fleuris et rabougris.
Notre hôte du jour, M. René MAILLARD, nous a donc proposé une autre visite, plus… sportive : une pelouse calcaire surplombant la vallée de la Meuse. Eh oui, nous avons quitté la Meuse à Angleur pour la retrouver 250 km plus loin, à Euville, dans le département français éponyme. La fatigue du trajet ne nous a pas empêché de profiter pleinement de la visite.
Petite parenthèse ici pour vous parler de M. MAILLARD. Cet agriculteur céréalier à la retraite s’est pris de passion pour les orchidées il y a déjà pas mal d’années. Mais également pour l’histoire locale. Qui plus est, les époux MAILLARD sont très accueillants, et nous avons été reçus chez eux comme des rois. La gentillesse de notre hôte, sa passion pour les orchidées et sa région, ont rendu ces visites non seulement très enrichissantes, mais également très agréables. Je ne pense pas me tromper en disant que tous les participants ont apprécié l’humanité et la simplicité de cet homme. Mais simple ne veut pas dire simplet, loin de là. C’est un terrien, humble et affable, bien connecté à ses racines et à la terre, sa terre, notre Terre ! Il n’est pas comme beaucoup de ces gens d’aujourd’hui totalement dénaturés, déconnectés de la terre, et qui s’étonnent qu’il puisse neiger en hiver, faire chaud en été et qui s’offusquent quand les cloches de l’église sonnent, quand le coq chante ou quand il pleut le week-end ! Bref, nous avons quitté nos hôtes avec un petit pincement au cœur, et d’ailleurs personne n’était pressé de partir… En tout cas, tout le monde a remercié chaleureusement M. MAILLARD pour la chaleur de son accueil … qui restera longtemps dans les annales du CAWO.
Bon, revenons-en à nos orchidées et à notre visite du matin. Cette pelouse calcaire, très pentue (assez similaire à la pente de la réserve des Spinets), surplombant le village de Troussey, est exposée plein sud. On y retrouve le cortège classique des pelouses calcaires, à savoir des plantes thermophiles (= qui apprécient la chaleur) comme le Serpolet (Thymus serpyllum), la Bugrane puante (Ononis natrix), l’Hélianthème (Helianthemum nummularium), l’Epiaire raide (Stachys recta), la belle Sauge des prés (Salvia pratensis), la Coronille variée (Coronilla varia), le Lotier corniculé (Lotus corniculatus), le superbe Œillet des Chartreux (Dianthus carthusianorum), la Scabieuse des champs (Knautia arvensis),la Pulsatille commune (Pulsatilla vulgaris, en fin de floraison), le Salsifis des prés (Tragopogon pratense, comestible comme son cousin des jardins !), et au rayon piquant : le Panicaut des champs (Eryngium campestre) et la Carline commune (Carlina vulgaris), ainsi que d’autres plantes à fleurs et diverses graminées. Et, bien sûr, il y a aussi des orchidées : Anacamptis pyramidalis (Orchis pyramidal, en nombre important), Himantoglossum hircinum (Orchis bouc, en fin de floraison), Ophrys fuciflora (Ophrys bourdon), il restait également quelques dernières Gymnadenia conopsea (Orchis moucheron) et l’un ou l’autre Aceras anthropophorum (Orchis homme pendu) très avancé.
Pulsatilla communis
Daniel contemplant un petit groupe d’Anacamptis pyramidalis
Bref, ça sentait déjà la fin de saison ! Nous aurions dû venir deux semaines plus tôt, nous dit M. MAILLARD. Mais bon, voilà, les choses étant ce qu’elles sont…
Après cet apéritif costaud, nous sommes retournés au domicile de nos hôtes, où chacun a déballé et dégusté son pique-nique, plus ou moins frugal selon les personnes 😉. M. et Mme MAILLARD nous ont servi du café, des madeleines (spécialité locale), des olives (moins locales celles-là), un excellent pâté au sanglier (qui datait d’avant la peste porcine !), mais aussi un gouleyant Auxerrois (élaboré dans le coin) et, tant qu’on y était, un petit coup de Mirabelle maison (je vous rappelle que nous sommes en Lorraine !). Quand je vous disais que nous avons été reçus comme des rois…
Mais bon, notre conscience professionnelle (hum !) nous a vite remis sur les rails et nous sommes partis faire notre seconde visite de la journée, à savoir les carrières d’Euville.
Pour la petite histoire, la pierre d’Euville est une roche calcaire dure, qui résiste très bien à la compression et dès lors sert régulièrement de soubassement aux édifices les plus imposants. On la retrouve notamment à l’Opéra Garnier et dans divers bâtiments haussmanniens à Paris, mais également le Palais royal de … Laeken ! Elle est exploitée au moins depuis le 14e siècle. On peut la comparer à notre calcaire crinoïdique, plus connu sous le nom de pierre bleue, exploité en plusieurs endroits en Wallonie.
Ces anciennes carrières sont abandonnées depuis la fin des années 60’. On y voit encore d’anciennes et gigantesques galeries. Le sol, autrefois nu, est petit à petit recolonisé par les pionniers habituels que sont Salix capraea (Saule marsault), Betula verrucosa (Bouleau verruqueux) et Pinus sylvestris (pin sylvestre). La flore est assez éparse par endroits, le sol, très minéral, empêche l’installation de nombreux végétaux. Néanmoins, c’est là que nous allons découvrir de nombreux (voire très nombreux) Epipactis atrorubens (Epipactis rouge foncé) en fleurs (ou non), de toutes tailles, des Ophrys insectifera (Ophrys mouche) en pagaille, mais aussi un exemplaire assez unique d’Ophrys bicolore (Ophrys apifera var. bicolor).
Comme toujours, les botanistes ne sont pas d’accord entre eux quant à la validité de cette appellation. Certains considèrent bicolor comme une variété d’apifera, d’autres l’élèvent au rang d’espèce à part entière. Pour beaucoup, cette forme apparaît comme une aberration (en botanique, on appelle ça un lusus), une variation naturelle, peut-être due à la consanguinité ? (Ophrys apifera pratique fréquemment l’autofécondation) qui n’aurait aucune valeur taxonomique. Ophrys apifera var. bicolor est également présent en Belgique, et notamment non loin de la réserve des Spinets, près de Rochefort.
Voilà ce qu’il se passe quand des orchidophiles tombent sur une espèce rare. Voyez-vous l’Ophrys apifera var. bicolor qu’ils photographient ? Non ? Rassurez-vous, eux, bien .
Quelques Listera ovata (Listère à deux feuilles) et une jolie colonie de Dactylorhiza maculata (Orchis maculé) termineront le tableau.
Vous l’aurez compris, les appareils photos ont encore chauffé lors de cette visite. Vous aurez compris aussi que cette excursion valait vraiment le (long !) déplacement, même si une date un tantinet plus précoce nous aurait permis d’en voir encore plus (mais nous en aurions raté d’autres tout aussi intéressantes !). Vous aurez pareillement compris que tout le monde a bien apprécié cette sortie botanique, d’autant que la météo nous a gratifié d’un temps pas trop chaud et, surtout, sec. Vous aurez également compris que notre hôte a été pour une grande part dans la réussite de cette journée. Vous aurez compris qu’il y a définitivement bien des choses à découvrir chez les orchidées européennes, au moins autant que chez leurs cousines exotiques. Vous aurez compris enfin que, comme d’habitude, les absents ont eu grandement tort !!!
Christian
Et voici quelques souvenirs de cette belle journée…
Ophrys fuciflora
Ophrys insectifera
Anacamptis pyramidalis
Epipactis atrorubens
Epipactis atrorubens
Ophrys apifera var. bicolor
Dactylorhiza maculata
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