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La grande guerre du mitrailleur Louis Maillard, mon grand-père

 

En préambule

Depuis la défaite de 1871, le petit village d’Euville vit comme les autres sa « belle époque » en attendant l’heure de la revanche. Mais en plus la commune bénéficie de revenus importants procurés par les locations de ses carrières de pierre de taille. On parle alors de « la commune la plus riche de France ». Cette manne a servi à de nombreuses actions sociales mais aussi à la construction d’édifices et d’équipements collectifs : une magnifique église à deux clochers, l’électricité et l’eau courante à la porte de chaque foyer, un éclairage public avec des lampadaires sur pied, une école de style au hameau des Carrières, une autre école au village, spacieuse et moderne, dotée d’un grand gymnase, et l’ exceptionnelle mairie Ecole de Nancy inaugurée en 1907.

 

Oui mais, à la fin de la Grande Guerre, Euville déplorera 73 tués et de très nombreux grands blessés de guerre. Parmi eux, l’instituteur réserviste Léon Florentin, 40 ans quand il est mobilisé le 2 août et incorporé au 44e Régiment Territorial d’Infanterie, il sera grand blessé de guerre et, devenu journaliste, publiera « Un paysage sanglant revu derrière une vitre d’auto ». Parmi eux le paysan réserviste Charles Billon, 35 ans à la mobilisation, également affecté au 44e RTI, il sera grand blessé de guerre mais son récit restera dans les archives familiales. Parmi eux le paysan Maurice Deville, 20 ans, qui tiendra un carnet sur sa guerre aux Dardanelles, resté aussi dans la famille. Parmi eux le fantassin mitrailleur Louis Maillard, qui combattra longtemps sur le secteur des Eparges-Tranchée de Calonne, où il sera blessé deux fois, puis dans la Marne autour de Suippes, puis à Verdun, puis dans la Somme, avec une nouvelle blessure, avant ses derniers combats dans les Monts de Champagne et le nord-est de la Marne.

Comme tous les poilus, Louis Maillard évoquait très peu sa guerre, mais quelques fois cependant. Grâce à son Registre Matricule et au carnet de marche de ses régiments, j’ai tenté de reconstituer ses combats. Le déclic fut la lecture de « Ceux de 14 » de Maurice Genevoix, qui m’a fait apparaître que les champs de bataille du Lieutenant Genevoix et de Louis Maillard avaient été les mêmes aux Eparges et à la Calonne, quelques fois dans des attaques conjointes entre leurs régiments respectifs, le 106e et le 67e d’Infanterie.

Alors j’ai repensé à ma rencontre avec Maurice Genevoix le 16 novembre 1967. M’étaient alors revenus des souvenirs de Mouilly où j’ai dû faire quelques brefs séjours dans ma prime enfance, ainsi que de nombreux souvenirs de Bonzée, Ménil, Villers et Mont sous les Côtes où j’avais un oncle curé. Tous ces villages sont largement évoqués dans « Ceux de 14 ».

 

Revenons à la mobilisation générale, évoquée ainsi par l’Euvillois Charles Billon :

« Or donc dans la nuit du 30 au 31 juillet, en plein sommeil, on tambourine à la fenêtre de la cuisine. Je saute en vitesse, j'ouvre et me trouve en présence d'un soldat du 155° R.I.[1] qui me remet une carte avec prière de la lire jusqu'au bout. Ordre de conduire de suite mon unique cheval au quartier Odinot au 155ème à Commercy. Faute de quoi ? Refrain habituel. J'obtempère illico mais déjà d'autres requis étaient sur place. La cour était pleine de soldats mobilisés assis sur les sacs, les cartouchières pleines – faisceaux formés – pas un bruit. Le silence impressionnant de ces 2000 hommes laissait à penser qu'il ne s'agissait pas d'un exercice  mais que le temps de la rigolade était passé. Rentré à Euville, je profite d'un cheval de fortune pour rentrer un chariot de seigle le matin  […] le soir avec ma femme nous allons couper à la faux un blé mûr du côté des Carrières […] à sept heures, je redescends et rencontre Fernand Prévot (tué à la Marne) qui m'avertit "Ne t'effraie pas tu vas recevoir un ordre d'appel individuel". Effectivement, l'ordre était déjà parvenu : ordre au soldat Billon Charles de se rendre de suite à l'endroit désigné - poste R2 Garde Voies et Communications. C'était un vendredi […] Dans le village c'est un incroyable remue-ménage, c'est des au revoir, des embrassades à n'en plus finir et une levée de 23 classes d'hommes, ça laisse un vide dans le pays. Pour beaucoup, pensent-ils, c'est un exercice de mobilisation, on va rigoler quelques jours et on nous renverra. Pour d'autres, si c'est la guerre, elle ne durera pas six semaines, deux mois au plus. »

 

Né le 29 septembre 1894, Louis Maillard est de la classe 1914 et n’a pas encore effectué son service militaire à la mobilisation générale du 2 août, il est cependant appelé au service armé et sera incorporé le 2 septembre au 67e Régiment d’Infanterie[2], il arrivera au corps le même jour, comme soldat de deuxième classe. En ordre de bataille, le régiment est composé de 3 bataillons et d’une compagnie de mitrailleurs avec 3 sections.

 

Une première blessure à Calonne - Saint Rémy

Après une période d’instruction, il part aux armées le 5 décembre 1914 et rejoint son régiment alors en cantonnement à Rupt en Woëvre, dans le secteur des Eparges (sur les Hauts de Meuse, à 20 km au sud de Verdun), où il reste jusqu’au 7. Les 182 jeunes soldats sont envoyés quelques jours à Sommedieue pour poursuivre leur instruction.

 

Le 11 décembre les recrues viennent jusqu’à la première ligne puis sont de nouveau en cantonnement à Rupt. Le 67e et le 54e se relèvent mutuellement tous les trois jours, les déplacements se font toujours à pied avec tout le barda (soit environ 15 kg), avec des départs au milieu de la nuit.

 

Le secteur est jugé stratégique par les Etats-Majors car il touche les hauteurs de Combres, tenues par l’ennemi, d’où l’on peut surveiller toute la plaine de la Woëvre. Les combats, bombardements et minages  se succéderont jusqu’à la fin de la guerre, sans avancées significatives de part et d’autre. Le secteur mobilisera cependant de plus en plus de combattants et les pertes seront énormes.

La photo ci-dessus, tirée de l'album de famille, est prise dans une tranchée, sans doute en plaine de Saint Rémy, Louis est au second plan

Qui, mieux que Maurice Genevoix a su restituer l’atmosphère du front. En le lisant, on partage les premiers combats de Louis Maillard. Citons quelques extraits de « La boue » en ce mois de décembre 1914, qui a connu des pluies incessantes.

 

mi- décembre, lors d’une relève entre compagnies du 106e, ceux des tranchées reprochant à la 7e compagnie d’être privilégiée :

 

« Quoi la boue… qu’est-ce qu’ils allaient parler de la boue. Quand ils seraient allés au ravin du 132 avec un affût de canon sur le râble, quand ils seraient tombés de trou de marmite en trou de marmite, quand ils auraient nagé dans la flotte des bas-fonds, barboté dans la gadouille à y laisser leurs grolles, à s’y laisser couler en attendant les éclairantes pour s’arracher mètre par mètre, ils pourraient venir s’aligner , les gars d’en haut ! »

 

le 16 décembre :

« Nous quittons cette nuit Mont sous les Côtes, et nous n’y reviendrons plus. Avant-hier, comme nous descendions des Eparges, une fusillade très dense a crépité vers le ravin du 132, du côté qui regarde la Woëvre. L’aube d’or limpide, entrouverte sous un dais de nuages bleus, fourmillait de coups de feu secs dont le vacarme nous a suivis longtemps. L’après-midi nous avons su qu’une section française était prisonnière des Boches ; et nous avions compris pourquoi les 105 s’acharnaient sur Mesnil. Du haut de la côte que nous avions gravie, nous voyions des hommes sortir des ruines en courant et se sauver à travers la campagne. Plusieurs fois, entre deux salves d’explosions, nous avons entendu leurs cris […] Nous traversons Mesnil, endormi dans une puanteur de chevaux morts. Tour à tour, la nuit crachine ou vente, chétivement. Elle tremblote à peine au bout de la route, d’une fusée livide qu’on n’a pas vue éclore. Nous ne savons pas au juste où nous allons : au bord du chemin creux, derrière les branches de sapins piquées dans la boue et l’urine ? Tant d’hommes se sont cachés là-bas, au fond des trous creusés sous le talus, tant d’hommes qui ne pouvaient bouger sans être vus et fusillés, que le chemin s’est empli jour à jour d’une fange pestilentielle. Peut-être nous arrêterons-nous avant, dans un de ces ravins qui entaillent parallèlement les Hauts ? En voici un d’où sort un mince ruisseau ; nous passons. Un autre ruisseau, un autre ravin voici qu’au loin, devant nous, des hurlements se déchaînent : rauques, stridents, effroyables, ils déferlent sur la route, rebondissent, nous retombent sur la tête. »

Une seconde blessure à Calonne

Après les soins médicaux Louis Maillard rentre au dépôt le 29 janvier 1915 et repart sur le front le 1er mars.

 

Il a échappé aux terribles combats qui se sont déroulés du 17 au 22 février, dans lesquels étaient engagés entre autres son régiment et celui de Genevoix, et qui se sont soldés pour le 67e par les pertes de : parmi les officiers, 9 tués, 7 blessés, 2 disparus, parmi la troupe 101 tués, 389 blessés, 450 disparus.

 

Reprenons quelques extraits de Genevoix sur cette période :

le 19 février

Je suis debout. Derrière la place creuse de Bouaré, Perrinet est mort, coupé en deux, une volée d’éclats en plein ventre. Rolland passe, entre Bouaré et moi, et disparait. Il fait sombre et froid ; le jour se vide de sa dernière lumière, meurt d’une agonie exsangue. Bouaré est mort sur le parados, les bras et les jambes détendus, immobile… plus personne. Entre deux éclatements, un glougloutement de source coule sous le corps de Terrinet. Lardin, Legallais, Trellu, Giron, Delval, Jubier, Laviolette, et d’autres, d’autres, les méconnaissables, je les enjambe l’un après l’un, jalons qui ne marquent plus rien. Mes souliers glissent sur des choses grasses, mes genoux flageolent d’épuisement…

Je ne peux tout de même pas, seul vivant, rester dans cette tranchée pleine de morts ! Il faut que j’aie la force d’aller jusqu’à l’entonnoir 7, que je « rende compte » au commandant, que je lui dise : « Mon commandant, je suis tout seul là-haut… » Il ne sera pas surpris ; il les a tous vus passer : un à un, depuis quatre jours, il a bien dû comprendre que la tranchée se vidait peu à peu. Et les blessés ont dû parler des morts ; et les derniers viennent de descendre en troupe, derrière Richomme qui hurlait. J’arriverai, je lui dirai : « Mon commandant… «  Qu’est-ce que je lui dirai ? Mes oreilles, tout à coup, tintent d’une force étourdissante ; quelqu’un bouge devant moi, dans la pénombre crépusculaire : il y a donc quelqu’un encore, par ici ? Chabredier, il me semble ; oui, Chabredier le chef… Et quelques hommes avec lui : Mounot, Letertre, et de nouveau Rolland.

le 21 février :

J’ai parcouru la crête d’un bout à l’autre. J’ai côtoyé, dans ma tranchée d’hier, tous les cadavres alignés, tranquilles et chacun à sa place ; j’ai revu le trou du 210 et, cherchant à glisser mon corps entre lui et le parapet, essayé de comprendre pourquoi l’obus ne m’avait pas tué : il ne m’avait pas tué parce que j’étais trop près. Encore une chose absurde et simple – indifférente… J’ai côtoyé d’autres cadavres, des Français, des Allemands mêlés ; j’ai traversé d’autres tranchées, muettes comme la mienne sous la garde des morts. Et j’ai vu des vivants dans des trous, de petites fosses qu’ils avaient creusées, et d’où surgissait leur tête lorsqu’ils entendaient mon pas. Ainsi j’ai vu surgir la tête d’un ami de Normale, un « coturne » de deux années. Il m’a fait signe de m’abriter, parce qu’une grosse marmite approchait en chuintant : et j’ai suivi son geste avec docilité. L’obus tombé, je lui ai demandé : « qu’elle compagnie du 6-7 ? »

 

Le 12 mars Louis Maillard est de nouveau évacué suite à une angine. Il retrouvera sa compagnie au front le 8 avril. Pendant cette absence, les combats du 67e se sont poursuivis. Le 16 mars le régiment remontait aux tranchées et continuait les travaux de réfection des ouvrages. Le 17 les travaux se continuaient sur l’ouvrage de 2e ligne au Carrefour de Calonne. Le 18, c’était l’attaque des Eparges. Le 19, violente canonnade, les résultats de la veille ne sont pas connus mais l’avancée sur le plateau serait minime. Du 19 au 25 mars les pertes ont été de 9 tués et 7 blessés. L’ordre du bataillon avait cité le Lieutenant Krasensky comme commandant de la compagnie de mitrailleurs. Le 26, les travaux avaient continué. Le 27 avait eu lieu l’ attaque de la crête des Eparges par le 25e bataillon de chasseurs à pied et par le 54e, le 67e assurant la garde de son front, une canonnade allemande s’était déclenchée sur tout le front du régiment puis l’artillerie française avait tiré, les pertes du jour savaient été de 3 tués et 14 blessés. Le 28, on avait procèdé à la réfection des ouvrages endommagés la veille. Le régiment avait été relevé le 2 à partir de 20 heures.

 

Citons encore des extraits du livre « Les Eparges » durant cette période, Genevoix reproduit ce qu’il écrit alors à sa famille :

« le 22 mars

 « Des milliers de morts, déjà, pour ce lambeau d’une colline dont le sommet nous échappe toujours ! L’affaire de Noël, en cent fois plus coûteux : charretée par charretée, mais beaucoup de charretées à la file. J’aurais tant à vous dire ! Je ne peux pas : c’est trop tumultueux, trop loin de vous, si loin que vous ne pourriez pas comprendre… Ce n’était pas la peine : j’aurais mieux fait, réellement, de me taire.

Tuer les Boches ? Les user ? On ne peut tuer ainsi des hommes qu’en en faisant tuer d’autres, autant d’autres ou davantage. Alors ?

Déloger les Boches d’une crête stratégique importante, d’un « bastion avancé » sur la Woëvre ? Mais les Hures, qu’est-ce qu’elles sont ? Et le Montgirmont ?… Derrière la colline des Eparges, la montagne de Combres se dressera face à nous. Et derrière Combres d’autres collines… Dix mille morts par colline, est-ce que c’est ça qu’on veut, Alors ?...

« Le pire, le terrible, c’est la clairvoyance des hommes. Lente à s’éveiller, mais qui s’éveille… Est-ce qu’on s’aperçoit qu’elle s’éveille ? »

le 8 avril

« … Obligé de m’interrompre brusquement, hier, pour remonter dans la tranchée. Les Boches contre-attaquaient en masse : bombardement invraisemblable. Ces journées dépassent en horreur celles de février. En février, peu de boue ; ces jours-ci, une mer de boue. Des blessés légèrement atteints se sont noyés en essayant de se traîner jusqu’au poste de secours. On s’exalte jusqu’à pouvoir tenir. « J’ai » mes hommes ; Dast et Sansois sont admirables. »

Au retour sur le front de Louis Maillard le 1e mars, le régiment est en première ligne, avant de cantonner à Rupt le 3 au soir. Il  remonte aux tranchées le 7 mars : journée sans canonnades. Le 8 les travaux reprennent activement dans les tranchées, les 9 et 10, rien à signaler. Le 11 : plusieurs canonnades ennemies puis les allemands reprennent la sape et la parallèle sur 35 m, que les français occuperont de nouveau en soirée. Le régiment rentre au cantonnement le soir.

 

Le 4 avril le 3e bataillon se rend à Montgirmont par Mouilly et Les Eparges. Le 5 les deux autres bataillons sont rassemblés sur la Tranchée de Calonne, à 1 km au nord-ouest des Trois Jurés. Un bataillon part en réserve au village des Eparges, le 2e bataillon part à Mont (45 mn de marche) et prend les dispositions d’alerte les plus strictes : les hommes couchent avec leur fusil à côté d’eux.

Du 6 au 10 avril, le 67e est au ravin des Eparges où il réussit plusieurs attaques de tranchées et fait des prisonniers ennemis, les contre-attaques allemandes sont repoussées et les tranchées conquises sont consolidées. Le 11, deux compagnies du 2e bataillon s’installent au carrefour de la Tranchée de Calonne avec la route Mouilly-Les Eparges. Le 12 le Lieutenant-Colonel Oddon quitte le régiment. Du 5 au 11 avril, les pertes sont de : officiers 10 tués, 11 blessés, 1 disparu, troupe 130 tués, 583 blessés, 316 disparus.

Du 13 au 18 avril, le régiment se reconstitue sur les cantonnements habituels de Mont, Trésauvaux, les Eparges, ferme d’Amblonville, Montgirmont, un renfort de 300 hommes étant arrivé sous la direction du Lieutenant Dubled  et un autre de 350 hommes sous le commandement du sous-lieutenant Hugny.19 avril. Le 67e relève le 54e dans le 3e secteur : 2e bataillon au Bois Luclon, 3e à cheval sur la Tranchée de Calonne, 1e dans la plaine Saint Remy. Relève faite à partir de 19 h, sans incident. Pertes : néant20 avril. Le commandant Girardon du 51e arrive au corps et prend le commandement du régiment. Pertes : néant21 avril. Dès 6 h les allemands bombardent violemment le secteur occupé par le régiment. On estime à 800 coups dont 300 obus de 210 qui sont tombés dans le secteur jusqu’à 19 h. Les dispositions d’alerte sont prises en cas d’une attaque allemande. Cette attaque ne se produit pas. Pertes : 7 tués, 10 blessés.

 

22 avril. Le bombardement de la veille a continué toute la journée. Les allemands procédaient même à certains moments par tirs rapides avec leur grosse artillerie ce qui fit croire à une attaque. Cependant leurs réseaux de fils de fer ne sont pas coupés et les nôtres ne sont pas endommagés, mais leurs obus tombent sur nos 1es lignes et sur la compagnie de réserve. Les boyaux et une partie des tranchées de 1e ligne sont complètement bouleversés. La nuit est employée à les réparer avec le concours du Génie. Les communications téléphoniques sont plusieurs fois rompues. Aucune attaque d’infanterie. Pertes : 9 tués, 16 blessés.

Reprenons à présent l’intégralité du carnet de route, jusqu’à l’attaque allemande du 24 avril qui se déclenchera sur tout le front du 67e soit 3,5 km, dans le secteur Tranchée de Calonne, bois et plaine de Saint Rémy.

23 avril. Dès 6 h du matin, bombardement de nos tranchées par l’artillerie allemande. Le bombardement revêt à 9 h 20 la forme d’un tir d’efficacité pendant 15 mn environ. Le calme revient et dure de midi 15 à 14 h 15, pendant ce temps, simple tir d’usure. A 15 h 30 l’intensité de bombardement redouble et s’accompagne du lancement de torpilles aériennes qui ensevelissent 2 sections placées dans des postes d’écoute. Ce bombardement continue jusqu’à 18 h. Le tir d’artillerie ayant fait craindre une attaque, le Génie Civil de Brigade fait envoyer à 11 h 30 un bataillon du 301e à la disposition du commandant du 67e. Le bataillon se tient à 150 m du poste du Colonel, à l’ouest de la Tranchée de Calonne. Il n’a pas à intervenir, aucune attaque d’infanterie ne s’étant produite, et il regagne Mouilly à 18 h 15. Vers 20 h 30 une fusillade générale se déclenche sur le front sans qu’aucune attaque ne se dessine. Le calme renait à 21 h et un bombardement intermittent se fait sentir toute la nuit. A 0 h 30 la fusillade se renouvelle mais aucune tentative d’attaque n’est signalée. Pertes : 20 tués, 36 blessés, 1 enseveli.

24 avril. Dès 6 h du matin, violent bombardement de la part des allemands, avec lancement de torpilles aériennes. On peut évaluer à 40 le nombre de torpilles aériennes tombées sur le front du 3e bataillon. Nos tranchées, nos boyaux, sont entièrement bouleversés et tout le travail de la nuit précédente est détruit. Les réseaux de fils de fer allemands ne sont pas coupés et les nôtres peu endommagés, mais à 11 h un tir d’efficacité d’une violence inouïe s’abat sur toutes nos lignes. Nos fils de fer sont détruits. Tous les hommes sont aux créneaux, ce tir dure jusqu’à midi, plusieurs sections sont ensevelies dans les tranchées et une attaque allemande se dessine sur tout le front (elle se lance depuis les tranchées qui se trouvent au niveau de la croix Alain Fournier). Elle arrive en force devant le 1e bataillon, qui occupe le sous-secteur de gauche, c'est-à-dire les tranchées de la lisière sud-ouest du Bois Saint Remy, et la lisière du Bois Haut, en liaison à la vue avec le 301e. Nos mitrailleurs, placés à la corne sud-est du bois de Saint Remy et dans la plaine sont enterrés, les tranchées de 1e ligne complètement bouleversées et les allemands arrivant en face obligent quelques éléments placés en seconde ligne à se retirer à travers le bois. L’attaque allemande en profite pour s’incliner vers le front du 3e bataillon, placé au centre, qui est attaqué sur son flanc gauche et sur son front. Devant ce bataillon, les guetteurs ont vu les allemands faire des brèches dans leur réseau de fils de fer et ont fait un tir d’infanterie et de mitrailleuses contre les travailleurs allemands.

Malheureusement les tranchées de 1e ligne étant complètement bouleversées et les hommes plus ou moins

ensevelis, leur tir n’arrête pas l’attaque allemande qui se dessine en même temps de front. Le bataillon du sous-secteur de droite était lui-même vivement pressé sur son front et ses tranchées de 1e ligne complètement bouleversées dans le bois : ordre est donné au chef de bataillon du 301e d’appuyer ce mouvement avec le reste de son bataillon, mais les allemands se font plus pressants, ils dépassent les pièces d’artillerie placées devant le poste de commandement du Régiment, pénètrent dans le poste du Colonel, traversent la Tranchée de Calonne dans la direction de la côte de Senoux. Le commandant du régiment, refaisant sonner la charge, arrête cependant une seconde fois leur progression. Aucune nouvelle des trois autres compagnies du 301e. Le commandant du régiment se porte alors au carrefour des Eparges pour demander au 128e Régiment

d’Infanterie sa coopération. Il lui indique le mouvement exécuté par les allemands sur nos 1es lignes et sur les compagnies de réserve. Puis il cherche à rallier à travers bois les débris de son régiment vers Mouilly et finit par rassembler à la cote 372, au nord de Mouilly, une centaine d’hommes. Petit à petit quelques éléments du67e groupés par un officier viennent rejoindre à la cote 372. Ces fractions s’établissent dans les tranchées au nord d’un bataillon du 301e qui s’appuie sur Mouilly. A 19 h 30 le Général de Brigade donne l’ordre au 67e de se reformer à la ferme d’Amblonville où il arrive vers 21 h et y passe la nuit. Il semble que, dans cette affaire, toutes les compagnies du 67e qui se trouvaient dans les tranchées de première ligne, ont fait bravement leur devoir. Les hommes ont dû se faire tuer, ensevelir par les obus, ou être faits prisonniers par les allemands dans leurs tranchées même. On n’a pas vu, en effet, d’éléments appartenant aux tranchées, même de première ligne, se replier en arrière, seuls des éléments appartenant aux deuxièmes lignes, ont dû battre en retraite. En particulier les défenseurs de l’ouvrage dit de la patte d’oie au 2e bataillon ont dû tenir jusqu’au bout cet ouvrage et s’y faire tuer sur place. Aucun renseignement n’a pu parvenir au chef de corps, mais sur un effectif de 27 officiers et 2182 hommes, le régiment ne comptait plus le soir du 24 avril que 7 officiers et 300 hommes environ. Pertes : 1 tué, 72 blessés, 1645 disparus.

 

Le mitrailleur Louis Maillard se trouve parmi les 72 blessés du 24 avril. Probablement blessé au début du combat sachant que les mitrailleurs sont aux avant-postes, on peut penser que sa blessure lui a sauvé la vie, au regard de l’hécatombe subie par le régiment ce jour-là. Resté au sol, c’est un soldat allemand qui le relèvera de terre et l’appuiera, assis, contre un tronc d’arbre. Sans doute ont-ils échangé quelques phrases en allemand, mon grand-père possédant un peu la langue, probablement apprise au collège de Commercy. Après les combats, il a été pris en charge par les brancardiers français, qui étaient passés souvent près de lui, le jugeant perdu et secourant en priorité d’autres blessés. Il sera sans doute évacué en fin de journée, après les combats, mais je l’entends encore parler, lors de ses rares récits, d’une longue attente des brancardiers, ponctuée de plusieurs « mais qu’est-ce qu’ils foutent, mais qu’est-ce qu’ils foutent ».

 

Genevoix décrit aussi les journées du 24 et du 25, ayant lui-même été blessé le 25. Le 24, alors qu’on avait promis au 106 un repos jusqu’aux premiers jours de mai, un départ au front est programmé pour 13 heures, Parti de Sommedieue, par la Vaux des Loups, par la voie de Dieue, le régiment passe à Rupt, les hommes croisent des blessés et entendent des obus siffler vers le bois des Trois-Monts, au midi, et une canonnade de bataille qui roule bien au-delà, dans l’est, vers Mouilly ou Saint Rémy. Puis on passe par la ferme d’Amblonville, puis on tourne à droite vers Mouilly, puis on tourne à gauche avant le Moulin-Bas, dans un ravin de la forêt, puis on gagne la contre-pente, alors que le soir venait. Genevoix décrit ainsi la situation :

 

« C’était très simple : l’attaque allemande, prononcée dans les bois au sud-est des Eparges, avait poussé au nord dans l’axe de la Calonne. Le 54, surpris, avait fléchi derrière sa première ligne : plusieurs de nos pièces lourdes avancées étaient tombées aux mains des Allemands [...] Et cette première bataille, nous venions de la perdre. Les Eparges débordées n’allaient plus pouvoir tenir. Pas de seconde ligne : le passage s’ouvrait, par la trouée de la Calonne, jusqu’au Rozelier, jusqu’à Verdun. Toutes les pièces lourdes cachées sous-bois, dans tous les vallonnements des Hauts, allaient tomber aux mains de l’ennemi : il y en avait des centaines. Si les Allemands apprenaient jamais notre faiblesse, s’ils se montraient tant soit peu hardis, Verdun était perdu, un pan de notre front s’effondrait ; et la Marne recommençait qu’il nous allait falloir, encore une fois, gagner …».

 

Ce même 25 avril, Maurice Genevoix sera blessé, sur la Calonne, près du carrefour de Mouilly vers Saint Rémy, c'est-à-dire sur les mêmes lieux que Louis Maillard, il raconte les circonstances de sa blessure :

 

Encore une fois, je parcours la ligne d’un bout à l’autre. A tous mes tirailleurs, je redis les mêmes phrases en passant : « Laissez-les tirer ; abritez-vous d’abord… Le bois est clair : s’ils avancent, vous les verrez… Attendez de les voir pour tirer : ne gaspillez pas vos cartouches… »

J’atteins la droite, reviens vers le centre. A quelques pas du jeune soldat, mort, deux hommes vers qui je marche se retournent. Ils me font signe, de leur main vivement abaissée : « Abritez-vous ! » je suis tout près d’eux, je leur crie : « qu’est-ce qu’il y a ? Baissez-vous, il y a une trouée : ils voient ! ».

Trop tard, je suis tombé un genou en terre. Dur et sec un choc a heurté mon bras gauche. Il est derrière moi ; il saigne à flots saccadés. Je voudrais le ramener à mon flanc : je ne peux pas. Je voudrais me lever : je ne peux pas. Mon bras que je regarde tressaute au choc d’une deuxième balle, et saigne par un autre trou. Mon genou pèse sur le sol, comme si mon corps était de plomb : ma tête s’incline : et sous mes yeux un lambeau d’étoffe saute, au choc mat d’une troisième balle. Stupide, je vois sur ma poitrine, à gauche près de l’aisselle, un profond sillon de chair rouge. »

Vestiges de tranchées près du carrefour de Calonne à Saint Rémy

Dans les tranchées de la Marne puis à Verdun

Après sa blessure du 24 avril 1915 à Calonne, Louis Maillard a été évacué le 25 sur l’hôpital militaire 11a de Verdun et à l’hôpital 10 à Vittel le 17 mai puis à l’hôpital 107 de Lyon le 9 juin et enfin le 2 juillet à l’hôpital de Meyzieu (à l’est de Lyon, après Villeurbanne et Vaux en Velin).

Les soins médicaux étant terminés, il rentre au dépôt le 7 octobre, où il restera jusqu’au 11 février 1916.

Entre temps, le 67e sera resté dans le secteur des Eparges jusqu’au 1er août 1915, qu’il quittera alors en passant par Revigny pour gagner Rambluzin puis Erize Saint Dizier, où il séjournera pour une période de repos et d’instruction. Départ le 3 septembre à pied pour Sogny en l’Angle. Toujours à pied, le régiment arrive à Ecury sur Coole. De concert avec les 54e et 106e, il arrive le 22 septembre au camp de la Noblette où tout le 6e Corps d’Armée est réuni. Puis on se déplace pour participer à la deuxième bataille de Champagne, à Souain, au nord de Suippes, et la tranchée de Lübeck. D’octobre 1915 à janvier 1916, le régiment est au repos dans la région de Mairy puis de Mourmelon-le-Grand, avant de se consacrer à des travaux autour de Prosnes, Baconnes, Mourmelon. De janvier à juin, il combat au nord-ouest de Saint Hilaire le Grand.

Louis Maillard a rejoint le 11 février 1916, date à laquelle il repart en renfort au front, affecté à la 2e compagnie, étant soldat de 1e classe depuis la veille. Suivra une période de repos et d’instruction à La Veuve.

Le 12 mars, le Lieutenant-Colonel commandant le régiment fait former le carré et prononce une allocution dont j’extrais le passage concernant les mitrailleurs : « Mitrailleurs du 67e, mitrailleurs Krasenski, vous avez un chef au cœur chaud et à l’âme ardente. Vous êtes une élite. Vous avez l’esprit de corps. Cet esprit de corps, je l’approuve, puisqu’il est doublé de l’esprit de sacrifice. Rappelez-vous ce que j’ai eu l’occasion de vous dire à Rupt. Si vous n’êtes pas de l’infanterie, vous êtes prêts à donner votre vie pour protéger l’infanterie. C’est le moment de traduire en acte ce que vous avez si bien exprimé dans la jolie chanson de votre mitrailleuse. Protégez vos frères par les feux terribles de cette arme puissante. Protégez-les jusqu’au bout, jusqu’à la mort s’il le faut. Mitrailleurs Krasenski, je compte sur vous ». L’allocution se termine par : « …. J’ai la ferme espérance qu’avec l’aide de Dieu, nous vaincrons pour la France, pour la liberté. Avec vous je crie Vive la France, vive la liberté, vive notre beau 67e ».

Et les combats reprennent dans les tranchées du même secteur de Suippes, toujours avec les 54e et 106e. Les alertes aux gaz sont nombreuses.

Le 10 juin 1916, le régiment embarque en gare de Saint Hilaire au Temple pour descendre à Revigny puis gagner à pied leurs cantonnements de Rancourt, Villotte devant Louppy, l’Isle en Barrois, puis ceux d’Erize la Grande, Chaumont sur Aire, Longchamp et Neuville en Verdunois. Le 16 le régiment est embarqué en automobile pour Nixéville puis se rend à pied à Haudainville et va occuper le 19 juin une position en réserve de Brigade au Tunnel de Tavannes[1], puis occupe le sous-secteur du bois Fumin. Celui-ci se situe entre le fort de Souville[2] et le fort de Vaux[3], il est limité à l’ouest par le ravin des Fontaines, exclu, et à l’est par le chemin de la Vau Régnier, exclu. On est au cœur de la Bataille de Verdun, à quelques encablures du futur Ossuaire de Douaumont qui sera érigé à l’initiative de Monseigneur Ginisty et inauguré en 1927, et du Mémorial de Verdun, qui sera inauguré en 1967 par le Général De Gaulle.

Ce sont alors de durs combats, parfois au corps à corps, à la baïonnette, en compagnie du 54e. Le carnet de route du régiment note « du 19 au 24 juin, c'est-à-dire pendant 5 jours, le régiment a eu en tout et pour tout 80 litres d’eau. Beaucoup d’hommes sont malades, tombent d’insolation, et presque tous en sont réduits à boire leur urine […] Ces journées resteront parmi les plus glorieuses pour le 67e au cours de cette guerre ». Le 67e a laissé sur le terrain 14 officiers (3 tués et 11 blessés) et 1018 hommes (152 tués, 682 blessés, 184 disparus). A la suite de ces combats, le général Nivelle cite le régiment à l’ordre de l’armée. Le 25 juin le régiment se repose à Belrupt et à la Falouze, le 26 il est transporté en automobiles à Rupt aux Nonains et La Houpette. Exercices, défilés, revues et réjouissances se succèdent jusqu’au 18 juillet. L’ordre du régiment du 17 juillet 1916 cite le mitrailleur Louis Maillard :« Mitrailleur d’une bravoure et d’un dévouement au-dessus de tout éloge. Blessé au cours des combats du 7 décembre 1914 et du 24 avril 1915, s’est encore vaillamment conduit pendant les journées du 21 au 23 juin où il a été un constant exemple pour ses camarades en se dépensant sans compter jusqu’à ce qu’il tomba épuisé de souffrances et de fatigues ».

Etienne (arrière-petit-fils de Louis) dans le Bois Fumin avec son cousin Frédéric Level

1] Le tournage de « La vie et rien d’autre », un film de Bertrand Tavernier, sorti en 1989 (avec Philippe Noiret et Sabine Azéma), a laissé une bonne place au tunnel de Tavannes.

 

[2] La construction des forts de Souville et de Tavannes est terminée en 1877, après l’éviction de Séré de Rivières. Souville n’a jamais été pris par les Allemands bien qu’un petit détachement en ait un moment foulé le dessus avant d’être neutralisé. Mon autre grand-père, Jules Deville, qui a fait toute la guerre dans le 44e Régiment d’Infanterie Territoriale, a longtemps séjourné au fort de Souville. Il se disait dans la famille qu’un obus était tombé tout près du grand-père, dans la popote installée dehors, mais n’avait pas explosé.

 

[3] Terminé en 1884, le fort de Vaux est un fort Séré de Rivières, il se situera en 1916 en plein cœur de la bataille de Verdun, bien qu’ayant été désarmé en 1915.

 

Une troisième blessure dans la Somme

Le 19 juillet, le régiment embarque en gare d’Eurville et débarque dans le Tardenois (Fère en Tardenois et Dormans), il stationne à Ronchères, Champvoisin et alentours, où il restera jusqu’au 4 septembre. Durant cette période de repos, le régiment est appelé, en raison de son brillant comportement à Verdun, pour assurer la garde d’honneur du Grand Quartier Général, il sera passé en revue le 23 août par le Général Commandant en Chef, sur le champ de course de Chantilly. Le régiment a reçu à cette occasion de nombreux honneurs avec remise de croix de guerre.

Le 5 septembre 1916 le régiment se dirige par étapes vers la Somme, il est enlevé en camions-autos dans ses cantonnements pour rejoindre la gare d’Ocuilly où il s’embarque en chemin de fer dans 4 trains successifs pour être débarqué le lendemain à Marseille en Beauvoisin, avant de se diriger à pied sur son cantonnement de Lihus (Oise). Le 19, les automobiles emmènent le régiment au cantonnement-bivouac de Domart Sous la Luce, puis le 21 au bivouac situé au sud-ouest de Suzanne, d’où il monte aux tranchées dans la nuit pour y relever le 1er bataillon de chasseurs. Le secteur s’étend depuis le sud de la ferme du Bois Labé jusqu’au carrefour de la route nationale de Béthune à Château Thierry, avec le chemin de Cléry à la ferme du Bois Labé. Le 1er bataillon est au Bois Madame dans le prolongement de la tranchée des Berlingots, le 2e bataillon est en réserve, vers la ferme de la Carrière, dans la tranchée de Tatoï.

Le 22 septembre le régiment est relevé dans la nuit par le 106e. Pertes : 7 tués, 41 blessés, 16 disparus.

Le 23 septembre, le Général Girodon commandant la 12e Division est tué dans la matinée. Le Lieutenant-Colonel commandant le 67e prend provisoirement le commandement de la Brigade. Pertes : 1 tué, 6 blessés.

Le 24 septembre le régiment va prendre son dispositif initial pour l’attaque prévue le lendemain et le Lieutenant-Colonel Girardon reprend à 20 h le commandement de son régiment. Pertes : 9 blessés, 1 disparu.

 

Le 25 septembre, l’attaque a lieu à 12 h 35. Le 54e s’empare de ses premiers objectifs : tranchées de Fontenay et Chauveau des Roches. A 12 h 50 le 2e bataillon quitte son emplacement des pentes ouest de la tranchée de Celle pour remplacer le 1er bataillon, réserve de Brigade, dans les tranchées de Van et des Berlingots, et le 3e bataillon vient remplacer le 2e sur les pentes ouest de la tranchée de Celle. Le PC du Lieutenant-Colonel reste au Bois des Ouvrages. Le 1er bataillon a pris part à l’attaque et s’est déployé sous un barrage d’artillerie très violent et a suivi le 54e dans sa progression. Le 2e bataillon s’est déployé avec un ordre parfait pour aller prendre sa nouvelle position, malgré les tirs de l’artillerie ennemie. Le 54e n’ayant pu garder les tranchées conquises, se retire sur ses parallèles de départ.

Notre secteur s’étend depuis le carrefour de la route de Béthune à Château Thierry avec le chemin Cléry-ferme du Bois Labé, dans la direction nord-est-sud-ouest jusqu’à 1 km environ. La relève s’effectue sans incident, malgré des barrages d’obus lacrymogènes envoyés par les allemands entre 18 h 30 et 19 h 30, ce qui oblige les hommes à prendre leurs masques. Pertes : 1 lieutenant tué et 1 lieutenant blessé, 20 tués, 144 blessés, 26 disparus.

Pour le mitrailleur Louis Maillard, ce sera une troisième blessure, il figure parmi les 144 blessés du jour, atteint par un éclat d’obus à la main gauche, qui a touché les 4e et 5e métacarpiens. Cela se passe sur le territoire de Bouchavesne-Bergen dans le département de la Somme. Au cours de ces combats, s’il est passé par le bois Madame, précédemment cité, cela a pu lui rappeler la ligne Madame et sa baraque de chasse, dans les bois de Menton à Euville, qu’il a si souvent empruntée avec son père Evariste Maillard, peut-être même en compagnie du futur Président de la République Raymond Poincaré …

Evacué le 25 septembre 1916, Louis Maillard  entre le 28 à l’hôpital mixte de Saint Malo. Le 27 mars 1917, il part en congé de convalescence pour un mois.

Il rentre au dépôt le 28 avril 1917. Le 4 août, il passe au centre d’instruction de Mortages près du Mans, étant en subsistance au 102e Régiment d’Infanterie. Du 4 au 30 septembre 1917 il y suit un cours d’instruction de mitrailleur et obtient la mention « très apte » aux fonctions de « chef de pièce ». Il est alors affecté au 130e Régiment d’Infanterie, qu’il rejoint le 27 octobre 1917, avant de partir en renfort le 13 novembre et de terminer la guerre dans ce prestigieux régiment du 4e Corps d’Armée.

Le groupe de mitrailleurs du 69è dans lequel est Louis Maillard (complètement à gauche)

Pour le mitrailleur Louis Maillard, ce sera une troisième blessure, il figure parmi les 144 blessés du jour, atteint par un éclat d’obus à la main gauche, qui a touché les 4e et 5e métacarpiens. Cela se passe sur le territoire de Bouchavesne-Bergen dans le département de la Somme. Au cours de ces combats, s’il est passé par le bois Madame, précédemment cité, cela a pu lui rappeler la ligne Madame et sa baraque de chasse, dans les bois de Menton à Euville, qu’il a si souvent empruntée avec son père Evariste Maillard, peut-être même en compagnie du futur Président de la République Raymond Poincaré …

Evacué le 25 septembre 1916, Louis Maillard  entre le 28 à l’hôpital mixte de Saint Malo. Le 27 mars 1917, il part en congé de convalescence pour un mois.

Il rentre au dépôt le 28 avril 1917. Le 4 août, il passe au centre d’instruction de Mortages près du Mans, étant en subsistance au 102e Régiment d’Infanterie. Du 4 au 30 septembre 1917 il y suit un cours d’instruction de mitrailleur et obtient la mention « très apte » aux fonctions de « chef de pièce ». Il est alors affecté au 130e Régiment d’Infanterie, qu’il rejoint le 27 octobre 1917, avant de partir en renfort le 13 novembre et de terminer la guerre dans ce prestigieux régiment du 4e Corps d’Armée.

Le 5 janvier 1918 il envoie à son frère Fernand et à sa belle-sœur Clotilde une photo en uniforme du 130e et précise « Nous étions en première ligne et sommes descendus cette nuit au repos. Je t’assure que nous n’avons pas eu chaud pendant cette période. Il y a deux jours, cela a chauffé un peu dans notre coin et je me demande comment nous n’avons pas écopé. »

Les attaques avaient repris le 2 janvier 1918 alors que la campagne était couverte de neige, mais les attaques allemandes sont repoussées. La relève se fera les 15 et 16 janvier et le régiment se rassemblera à Jalons les Vignes, le 22 janvier les bataillons repartiront cantonner à Villers Marmery, Billy le Grand et Mourmelon le Petit, ils y organiseront une deuxième position de défense dans la région à l’est de la Montagne de Reims.

Le 9 mars le régiment se retrouve en ligne dans le sous-secteur de Casque, avant d’être relevé le 1er juin. Le 2 juin le gros du régiment part en forêt de Reims, à Ville Domange, Charmery, Sacy. En juillet il fait face à la dernière offensive allemande en Champagne et notamment les 14 et 15 juillet, où l’ennemi avait engagé 15 Divisions. Le 17 juillet le Lieutenant-Colonel Rousseau, chef de corps, décore de très nombreux combattants et le régiment est cité à l’ordre du 4e Corps d’Armée.

Jusqu’à l’armistice, le 130e RI se battra encore à Auberive, le 3 août il part en camions jusqu’à la route Souain-Tahare et prend position à 13 km au sud-ouest de Vouziers, à Orfeuil, où il combattra jusqu’au 27 octobre, jour où Louis Maillard sera affecté sergent au 2e Bataillon, Compagnie de Mitrailleurs. Il avait été nommé caporal le 26 janvier 1918, et sergent le 9 septembre suivant.

Après les hostilités

La suite militaire

 

Après la signature de l’armistice, il sera cantonné avec son régiment à Villeneuve sur Cher, près de Saint Florent dans le Cher, d’où il envoie des cartes postales à sa famille le 27 janvier 1919, le représentant avec d’autres soldats (il est le premier à gauche) dans leur tenue avec la fourragère du régiment.

Il sera envoyé en congé illimité de démobilisation le 31 mars 1919, avec certificat de bonne conduite, et se retirera à Euville (Meuse). Il sera maintenu en service auxiliaire avec une pension permanente de 20 % pour blessures de guerre (Blessure au thorax par schrapnell, fracture du sternum avec chevauchement considérable. Anciennes blessures par éclat d'obus 4° et 5° métacarpiens gauches entraînant actuellement impotence fonctionnelle moyenne de cette main) avant d’être réformé définitivement le 8 septembre 1937 avec « rhumatismes chroniques des membres inférieurs ».

Ses différents statuts dans l’armée, échelonnés de manière automatique en fonction de l’âge, sont : dans la réserve de l’armée active le 1er octobre 1917, dans l’armée territoriale le 1er octobre 1928, dans la réserve de l’armée territoriale le 1er octobre 1935, sa libération définitive n’intervenant que le 1er octobre 1942, à l’âge de 48 ans, il aura donc été à la disposition de l’armée française pendant 28 années.

Il est membre actif (sous le n° 2902, en 1929) de l’Association des Mutilés et Anciens Combattants de la Grande Guerre, région de l’Est.

 

Les étapes de la guerre de Louis Maillard

 

Parti d’Euville le 2 septembre 1914, Louis Maillard n’y rentrera définitivement que le 31 mars 1919, après avoir servi la France pendant quatre années et sept mois. Louis n’a connu que la guerre de position dans les tranchées. Compte non tenu de permissions dont nous ne connaissons ni les dates ni les durées, la chronologie de ces 4 ans et 7 mois (1667 jours) est reprise dans le tableau ci-après. On peut regrouper ces périodes en :

  • Séjours dans les dépôts et casernements (classes, formation, convalescences après les soins hospitaliers) : 695 jours répartis en 9 séjours de 17 à 155 jours

  • Séjours dans les hôpitaux : 419 jours en 4 périodes allant de 27 à 195 jours

  • Présence au front : 553 jours en 8 périodes, allant de 21, 12 et 16 jours entre deux blessures ou soins à La Calonne, jusqu’à 264 jours d’affilée dans la Marne entre 1917 et 1918

 

Les distinctions de Louis Maillard

 

Lui ont été décernées les 6 médailles militaires suivantes : légion d'honneur, croix de guerre, citation à l'ordre de l'armée et du régiment, croix de guerre citation à l'ordre du régiment, médaille militaire, médaille de Verdun, médaille des vétérans

Légion d’Honneur et Croix de Guerre à l’ordre de l’Armée sont des distinctions attribuées avec grande parcimonie aux hommes de troupe, mais on ne sait pas ce qui a motivé ces honneurs pour le soldat Louis Maillard. Au regard de ses états de service de exemplaires, on peut cependant s’étonner que sa nomination dans les grades de caporal et de sergent ait autant tardé pour n’intervenir pratiquement qu’à la fin des hostilités, et que certaines médailles lui aient été décernées longtemps après le conflit, sur les interventions des associations d’Anciens Combattants. La Nation ne semble pas avoir montré beaucoup de reconnaissance pour ceux qui l’ont servie avec autant d’abnégation, au prix de sacrifices surhumains.

Cette photo de Louis est prise sur la route du port à Euville

La vie civile

 

Démobilisé, Louis Maillard sera employé à Nancy comme comptable aux Etablissements « Constructions Electriques Nancy ». Il fait la connaissance de Marie Louise PETIT, avec qui il se marie le 6 août 1920. Il habitera au 31, rue Pasteur en 1920 puis au 56, rue du Sergent Blandan en 1923. Marie Louise (Loulou) et Louis auront trois enfants : Jean en 1921, René en 1923 et Thérèse (qui habite encore à Euville) en 1928. Quand les rhumatismes articulaires clouèrent Louis sur un fauteuil roulant, dans l’incapacité de poursuivre son activité, il se trouva sans ressources et se résolut en juin 1937 à retourner chez sa mère à Euville, où sa famille le rejoindra quelque temps après.

Il lui est arrivé parfois de raconter quelques épisodes de sa guerre, surtout à son petit-fils Jacques. Pour ma part, lorsque de septembre 1967 à décembre 1968, j’ai effectué mon service militaire au camp de Suippes, mon grand-père ne m’as pas dit qu’il avait combattu deux fois de longs mois dans ce secteur. Il me semble cependant me souvenir que mon père l’avait emmené dans la « Juva Quatre » pour une visite de mémoire aux Eparges et à Mont Sous les Côtes où Jean Deville était curé.Il connut le malheur de perdre son fils René qui, à la déclaration de guerre 39-45, faute de ressources des parents, n’avait pas pu rejoindre son école d’ingénieur nancéenne délocalisée à Bordeaux et s’était engagé dans la Marine Nationale. Débarqué à Toulon lors du sabordement de la Marine et indélicatement abandonné par celle-ci, il est retourné chez ses parents où il est pris par le STO (Service du Travail Obligatoire). Après un séjour au camp forestier d’Haudainville, il est déporté en Allemagne en février 1943. Victime de bombardements russes devant l’usine où il travaillait  en banlieue de Dantzig, le  25 mars 1945, il est mort à 21 ans. Sa dépouille n’a pas été rapatriée.Un nouveau deuil est venu frapper Louis Maillard en 1966, avec la disparition de son fils aîné Jean, victime à 45 ans d’un accident de moissonneuse-batteuse.

Après avoir maintes fois tutoyé la mort pendant les combats de la Grande Guerre, après avoir vu tomber grand nombre de ses camarades, après avoir perdu deux fils, Louis Maillard s’éteindra en 1967 chez lui, à Euville.

Lexique

Armée : Un dispositif militaire comprend plusieurs armées, divisées en corps d’armées, eux-mêmes constitués de divisions composées de brigades et de régiments

Corps d’Armée : C’est l’ensemble des troupes attachées à une Région Militaire. Le Corps d’Armée porte le même numéro que sa région. En 1914, la France compte 21 régions et le département de la Meuse fait partie du 6e Corps, dont le siège est à Châlons en Champagne

Divisions : Les Corps d’Armées sont constitués entre autres de Divisions d’infanterie. Le 6e Corps comprend les 12e, 40e, et 42e Divisions d’Infanterie

Brigades : Une Division est divisée en Brigades, souvent au nombre de deux, constituées chacune de 3 ou 4 régiments. La 12e Division d’Infanterie comprend les 23e et 24e Brigades d’Infanterie. La 23e est à Soissons, composée elle-même des 54e Régiment d’Infanterie (Compiègne) et 67e RI (Soissons). La 24e est à Reims et comprend le 106e RI (Châlons sur Marne) et le 132e RI (Reims).

Régiments : Un régiment d’infanterie est commandé par un Lieutenant-Colonel ou un Colonel. Prenons l’exemple du 106e d’infanterie sur le pied de guerre : il comprend environ 3200 hommes avec un état-major, trois bataillons de 1000 hommes, une compagnie hors rang et trois sections de mitrailleuses. Chaque bataillon comprend 4 compagnies d’environ 250 hommes, commandées par un capitaine. Chaque compagnie est divisée en 4 sections d’environ 50-60 hommes, commandées par un lieutenant, un sous-lieutenant ou un adjudant. Une section est divisée en 2 demi-sections chacune commandée par un sergent, elles-mêmes constituées de 2 escouades ayant à leur tête un caporal

Bataillons : Ils rassemblent plusieurs compagnies (souvent 4)

Compagnies : Les compagnies composent les bataillons (appelées escadrons dans certaines armes)

Sections : Petite unité constituant une compagnie, elle est commandée par un lieutenant et comprend environ 200 hommes

Infanterie : Les soldats de l’infanterie sont les fantassins, péjorativement appelés les biffins. L’infanterie représente la part la plus importante de l’armée. En 1914 les formations actives de l’infanterie métropolitaine comptent 173 régiments de 3 bataillons chacun. S’y ajoutent hors métropole 18 régiments de tirailleurs, zouaves et étrangers, ainsi que 31 bataillons de chasseurs et 5 bataillons d’infanterie légère d’Afrique.

Dépôt : Quand une unité est en campagne, le dépôt est le siège administratif du régiment, là où sont stationnés les hommes qui restent en garnison. Les blessés guéris, avant de retourner au front, repassent toujours par le dépôt où ils terminent leur convalescence

Obus : Projectile de diamètre supérieur à 20 mm

Marmite !: Obus de gros calibre

Shrapnell : Obus allemand rempli de balles rondes, que l’on faisait éclater au-dessus du sol

Sape : Une sape est un abri couvert creusé au long des tranchées, pour abriter les soldats. C’est aussi un tunnel creusé en profondeur pour atteindre un ouvrage ennemi et le faire sauter à l’aide de mines, charges explosives pouvant atteindre des dizaines de tonnes

Boyau : Les boyaux sont des passages creusés qui accèdent aux tranchées et les relient entre elles

Tranchée : Pendant la guerre de position, les combattants sont en poste dans des tranchées qu’ils ont creusées avec la pelle faisant partie de leur équipement. Les tranchées ne sont jamais rectilignes mais faites de courbes tous les 10-15 mètres, pour éviter les tirs ennemis en enfilade. Les tranchées ont un gabarit obligatoire, permettant la position debout et le croisement des hommes, la bordure du côté ennemi comporte un parapet constitué des matériaux de la fouille, dans lequel sont aménagés des créneaux de tir. Les tranchées sont équipées de feuillées (latrines) et d’abris couverts pour le repos des hommes. Les tranchées de première ligne sont souvent protégées par des réseaux de fils de fer.

Parallèle : Large tranchée creusée parallèlement et à l’arrière des tranchées, pour abriter les hommes en attente d’aller en première ligne.

Layon : En forêt, ce sont les lignes rectilignes qui délimitent les coupes forestières, ainsi que les allées qui permettent la circulation.

René MAILLARD

à Euville, janvier 2016

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